XXXIII

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Avril 1718

Jamaïque


-Il t'a demandé en mariage ?!

Rétorqua la jeune danseuse à la suite des paroles de son amie. Une vive hilarité la prit, la faisant rire à gorge déployée. La noiraude lui adressa un sourire malicieux tandis que le blond tentait vainement de se dissimuler derrière son verre.

– Mon Dieu, je ne l'aurais jamais cru ! Ils sont fous, ces Européens !

– Il n'est pas commun de se travestir chez nous. Répliqua-t-il sèchement. Les moqueries dont il était la cible portèrent profondément atteinte à son égo. Face à cette réaction, Johanna apposa sa main sur son épaule.

– Ne te vexe pas ainsi, mon ami. Nous ne faisons que plaisanter. Le jeune homme arqua un sourcil à l'entente de ses propos. Il est aisé de lire à travers toi. Grommelant dans sa barbe inexistante, le blond se rembrunit davantage.

Thomas voulut reprendre le fil de la conversation quand une choppe vint être déposé avec une certaine brutalité face à lui. Il voulut la refuser, mais l'insistance du serveur fut telle qu'il s'avoua vaincu. Seulement, avant même qu'il ne puisse la saisir, une main vint l'échanger contre une autre. Ce fut avec surprise qu'il constata que cela était l'œuvre de Johanna. La jeune femme avait troqué son verre vide contre celui du blond. Face à cela, la poitrine du jeune homme s'emplit d'une douce chaleur.

– Tu n'aimes pas l'alcool ? Demanda-t-elle, sincèrement étonnée par sa déclaration. Gêné, il passa timidement une main dans sa chevelure d'or.

– Disons que je préfère les boissons douces comme le vin. La bière est un peu trop, comment dire, rustique ? Ou du moins pour moi.

— Hmm, je ne l'aurais jamais deviné...

Adressant une œillade curieuse à la jeune femme, Thomas se mit instinctivement à l'observer. Apprendre sa réelle identité le fit apposer un nouveau regard sur sa personne. Sa franchise lui semblait admirable et sa bonté d'âme apaisante. Que dire de plus ? Johanna paraissait si fantastique qu'il ne saurait cesser sa contemplation. En Europe, il n'avait point l'habitude de côtoyer des jeunes femmes semblables à cela. Elles étaient étouffées sous une abondance de règles et de devoirs dont elles ne pouvaient se défaire. Les rendant aussi muettes que des tombes et aussi fausses qu'une illusion. Des êtres réduits à de vulgaires poupées exposées dans des vitrines. Chacune attendant avec désespoir l'homme qui deviendrait leur mari et maître de leur triste vie. Ici, elles avaient une plus grande liberté. Cela, parce qu'elles ont décidé de se battre et de se rebeller contre ce système patriarcal. Certes, elles étaient peu, mais les étincelles de la révolution brûlée, prêtes à mettre le feu aux cendres. Quand elles seront lancées, personne ne pourra cesser leur avancée.

Johanna avait beau dissimuler son identité, cela n'alternait en rien sa façon d'être. Prétendre être un homme lui épargnait des complications absurdes, ce qui lui donnait raison d'agir ainsi. Malgré ce que la société exigeait, la noiraude vivait à sa manière, s'affranchissant des bonnes mœurs. Il était en son pouvoir de vouloir les suivre ou les ignorer. Thomas la soupçonnait d'ailleurs de s'amuser de cela. La jeune femme adorait admirer les visages scandalisés des passants quand sa conduite défiait la morale. Cela dit, jamais elle n'avait agi pour porter préjudice à autrui.

Cette liberté, cette façon d'être, ce quotidien, Thomas se mit à le désirer. Avec une ardeur qui l'effraya quelque peu. Comment pouvait-il ressentir un tel attachement pour un lieu et une personne qu'il venait de rencontrer il y a de cela à peine un mois ? Une question dont la réponse lui échappait vicieusement. Quelle était cette chaleur qui l'emplissait à cet instant même et qui ne faisait que croitre avec entrain ? Il ne faisait que converser dans un bar avec des connaissances. Une action réalisée un nombre incalculable de fois dans sa France adorée. Alors pourquoi donc ?

En corrélation avec son questionnement, Johanna fit volteface, lui adressant un sublime sourire. Les pommettes rougies par l'alcool et les pupilles pétillantes, le blond sentit sa poitrine se compresser. Tel le cliquetis de sa montre, son cœur vint adopter un rythme effréné. Sans qu'il puisse le contrôler, des souvenirs de leur précédente rencontre lui vinrent à l'esprit. Il se revit approcher cette cascade, curieux de découvrir la splendeur de ce lieu. Seulement, ce qu'il vit le rendit muet. Figé, il ne put se détacher de la vision qui s'offrait à lui. Thomas connaissant anatomiquement le corps d'une femme, néanmoins, il n'avait encore jamais eu le loisir d'en admirer réellement. Cet instant qui passa, fut gravé dans son esprit pour toujours. Ce fut ce jour-là qu'il découvrit la beauté d'une femme. Ce fut ce jour-là qu'il tomba pour la première fois amoureux.

Honteux par ses pensées, ses joues se recouvrirent d'une teinte rosée. Se relevant prestement, il ignora les appels de la noiraude et se précipita à l'extérieur. Se rendant sur la place principale, il vint prendre place aux côtés de la fontaine centrale. Passant une main dans celle-ci, il récolta une petite quantité d'eau dont il s'aspergea.

– Mais à quoi Diable je pense ? Déclara-t-il tout bas, à la frontière d'un murmure.

– Thomas ?

Cette soudaine interpellation le fit tressauter, causant sa chute dans la source. Retenant un gloussement amusé, la jeune femme s'approcha, lui proposant sa main. Alors qu'il avait agencé un mouvement vers elle, il se reprit au dernier moment et ignora son geste. Surprise, Johanna arqua un sourcil.

– Il y a un problème ?

Le blond demeura silencieux, détourna subtilement le regard. Ses cheveux d'or plaqués contre son front, il fut ardu pour la jeune femme de discerner ses pupilles bleutés. Consciente que le laisser ainsi ne conduira à rien de bon, elle s'avança lentement, comme si elle tentait d'approcher un animal craintif. S'accroupissant, la noiraude apposa sa main sur sa joue, le faisant revenir sur Terre. Prestement, le jeune homme se déroba de sa prise, balbutiant des mots incompréhensibles, le visage en feu. Ce fut quand Johanna découvrit cela que la situation devint évidente. Soufflant du nez, elle fut attendrie par son comportement.

– Je pensais les Européens bien plus audacieux sur ce sujet. Rétorqua-t-elle dans un rire, surprenant Thomas. Ce dernier releva le regard, faisant sourire la jeune femme. Pourquoi ne pas essayer ? Voyons où toute cette histoire va nous mener ! Qu'en dis-tu ?

Il ne fallut qu'un instant au Français pour comprendre ses paroles. Rougissant furieusement, le jeune homme acquiesça avec timidité. Glissant avec douceur sa main sur la peau de coton de Johanna, leurs corps se rapprochèrent délicatement jusqu'à se rencontrer dans un tendre baisé.

Ce fut ainsi que débuta ce chapitre. Par la découverte de ce que l'on nomme « amour ». Il était ardu pour eux de comprendre l'étendue de ce mot. Leur innocence à ce sujet ne pouvait qu'être attendrissante. Seulement, ils ne pouvaient mentir à eux-mêmes. L'irrépressible attirance qui les liait n'était pas factice, cela était sincère. Ainsi, ce qui ne constituait à la base qu'une curiosité se mua en quelque chose de bien plus fort, plus beau et plus profond. Le fil de leur cœur s'était emmêlé, créant un nœud aussi robuste qu'intemporel. Mais cela en valait-il vraiment le coup ?


Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant