XXII

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Août 1940

France


Il était arrivé. Figé devant cette simple porte, Robin ne sut comment réagir. Que pouvait-il bien faire ? Toquer, bien évidemment, cela était indéniable. Mais en avait-il réellement envie ? Était-il prêt à pardonner à Pierre son abandon ?

– Reprends-toi, ce n'est pas pour ça que tu es venu jusqu'ici... Murmura-t-il, tentant de se convaincre lui-même de la véracité de ses propos.

Pourtant, malgré toute la détermination dont il faisait preuve, ses jambes restèrent immobiles. Soudées tel du ciment, elles n'esquissèrent point le moindre geste. Pourquoi donc étaient-elles si capricieuses ces derniers temps ? Avaient-elles ressenti l'angoisse parcourant le corps de son propriétaire ? Possible, celle-ci lui tordait le ventre avec une telle force qu'il se sentit nauséeux.

Il leva son bras, enfin prêt à réaliser cette action qu'il redoutait tant. Et pourtant. Son membre avait bel et bien bougé, mais jamais il n'atteigna la cloison. Était-ce la fatigue ? Non, il s'agissait sûrement de colère. Robin n'avait jamais pardonné à Pierre. Voilà pourquoi le brun ne pouvait se résoudre à frapper sur cette maudite porte. Bien sûr ! Tout était clair désormais !

Fier de connaître la raison de son état, un rictus déforma lentement ses lèvres. Cependant, ce dernier fana prestement. Se baissant, jusqu'à finir accroupi sur le perron de cette maison, le jeune homme laissa filer un ricanement amer.

La colère ? Foutaises ! Ce n'était point cela qui lui causait autant de difficulté ! Il s'agissait même de l'exact contraire...

Robin n'éprouvait point de ressentiment envers ces futures retrouvailles, mais de la crainte. Une peur viscérale qui s'écoulait vicieusement dans ses veines, pétrifiant ainsi tout son être. Que craignait-il donc à ce point ? Eh bien, cela n'était point ardu à comprendre...

Le jeune homme avait peur de ce qu'il trouverait derrière cette porte. Et si Pierre l'avait oublié ? Et s'il avait formé une famille ? Il n'aurait plus besoin de lui dans sa vie ! Dans ce cas, Robin avait fait tout ce chemin pour rien... Que faire ?

Les questionnements du brun furent soudainement interrompus par le grincement de la porte. S'ouvrant doucement, cette dernière dévoila la silhouette d'une jeune femme. Surprise par la présence de Robin sur son perron, celle-ci fronça ses sourcils. Dès lors, le brun put découvrir son visage, ma foi, charmant.

– Je peux vous aider ? Demanda-t-elle avec une certaine méfiance, peu habituée à recevoir de la visite à une telle heure.

Robin voulut répondre, mais les mots restèrent bloqués au fond de sa gorge. Il n'y arrivait pas... Quelle faiblesse !

Voyant le mal-être du jeune homme, l'habitante de la sympathique maisonnée chercha ne serait-ce qu'un détail pouvant l'amener sur l'identité de ce mystérieux inconnu. Se plongeant dans de profondes réflexions, ce ne fut qu'au bout de quelques instants qu'elle eut une illumination.

Ne voulant point se bercer d'illusions, la jeune femme se racla doucement la gorge. Attirant l'attention du brun sur sa personne, elle prit la parole avec un accent allemand bien prononcé. À l'entente de ses paroles, le jeune homme se figea.

Venait-elle vraiment de dire son prénom ? À lui ? Comment pouvait-elle savoir ?

Au vu de sa réaction, le visage de la jeune femme se mua en un sublime sourire. Robin fut même certain d'avoir aperçu ses yeux brillaient avec émotion. Pourquoi une telle réaction ?

Coupant court à ses réflexions, la jeune femme l'invita à entrer. Ce que fit le brun, malgré quelques réticences. Faisant quelques pas dans la charmante habitation, Robin fut légèrement perturbé par ce changement d'environnement. Son observation cessa subitement en croisant un regard. Les années avaient beau avoir laissé sa trace, il était tout bonnement inconcevable qu'il ne puisse point le reconnaître. Lui. Le meilleur ami qu'il n'eut jamais connu. Son frère. Son compagnon de vadrouille. Son camarade de beuverie. Il était là. Oui. Il était bien là. En chair et en os. Ce n'était point une illusion résultant de l'alcool. Non.... C'était lui...

– Robin ? Le ton employé par le jeune homme dénotait une profonde surprise. Croyant à un songe, ma foi, bien trop réaliste, Paul demeura immobile, incapable d'esquisser le moindre geste. Seulement, il se reprit bien vite et un sourire vint décorer avec douceur son visage. Cela fait longtemps, pas vrai ?

Ravalant un sanglot, le jeune Français ne sut comment réagir. Devait-il le saluer ? Déverser sa colère ? Pleurer ? Le sermonner ? Tout se mélangeait dans son esprit, provoquant une cacophonie assourdissante.

– Mon frère, pardonne-moi. Tressautant face à ses paroles, il n'eut point le temps de réagir. Son ami l'étreignait désormais avec force. Pardonne-moi d'avoir été si lâche...

Certaines mauvaises langues affirmeront qu'il était malvenu pour deux hommes de s'adonner à un tel comportement, mais ils en avaient cure. Le brun lui rendit son geste avec un engouement frôlant le désespoir. S'accrochant fermement à l'autre, ils laissèrent échapper quelques larmes, preuves d'une affection qui n'avait jamais dépéri. Malgré les années, malgré la distance, malgré le ressentiment, cette amitié n'avait point faibli. Était-ce seulement possible ? Un tel lien, une telle relation était-elle vraiment réelle ? Nulle ne sait seulement, face à ce spectacle, celle qui partageait la vie du noiraud fut émue.

Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant