Juillet 1940
France
Assise à même le sol, Alice triturait distraitement les brins d'herbe entre ses doigts. Chantonnant une vieille mélodie d'enfance, elle laissa son esprit s'éparpiller en contemplant le paysage qui lui faisait face. Installée aux côtés du lac d'Allier, la blonde admira les reflets du coucher de soleil. Les teintes jaunes et orangées de l'astre créaient un sublime contraste avec la couleur de l'étendue glacée.
En cette fin de soirée, peu furent ceux à arpenter les allées de Vichy. Les hommes rentrèrent chez eux, impatients de déguster les plats préparés avec amour par les épouses. Les quelques femmes encore dehors se hâtèrent de terminer leurs achats. Et les enfants cessèrent leurs jeux pour ne pas risquer de sévères remontrances. Seuls les seniors et de rares vagabonds poursuivirent leur chemin à travers la ville.
– Que fais-tu ? La silhouette d'Adrien se dessina sur la chaussée, dissimulant ainsi la jeune femme des lueurs de l'astre.
– Je regarde le paysage. Acquiesçant, il descendit la légère pente pour la rejoindre. Prenant place à sa droite, il demeura étrangement silencieux.
Jetant une œillade discrète dans sa direction, Alice se surprit à le détailler avec attention. Ses boucles brunes avaient poussé, maquillant désormais une partie de son front. Un détail qui rendit son visage plus mature qu'auparavant. Ainsi, il semblait bien plus adulte que ce qui laissait transparaître habituellement.
– Adrien ?
– Hum ? Rétorqua-t-il en portant son regard sur sa personne.
– Pourquoi voyages-tu constamment ? Pourquoi ne pas demeurer au même endroit ? Le brun fut un instant déconcerté par sa question avant de laisser filer un rire.
– Parce que je veux découvrir ce monde. Voir tout ce qu'il peut nous offrir. Répondit-il en lui souriant. Je ne pense pas être fait pour avoir un quotidien monotone. J'ai besoin d'un peu d'aventure et de liberté !
– Mais la solitude ne te pèse pas ? À l'entente de ces paroles, son rictus fana, laissant place à un visage bien plus sérieux. Récupérant un galet, il le lança dans le lac, le faisant ainsi ricocher.
– Je l'ai toujours été, alors ce n'est pas un problème pour moi. De plus, il m'arrive parfois de croiser des connaissances comme Martin.
– N'est-ce pas ardu de quitter la ville où tu as grandi ? Où tant de souvenirs subsistent ?
– Non, parce que c'est le passé. Si je demeure éternellement dans ce dernier, je ne pourrai jamais avancer. Apposant un regard inquisiteur sur la blonde, cette dernière le sentit traverser son âme. Tu devrais en faire de même, Alice.
– Tu ne sais rien. Déclara-t-elle froidement. La jeune femme savait cela, mais elle ne pouvait l'accepter. Si j'abandonne le passé, alors je n'ai aucun avenir. Sans lui, je ne suis rien.
– C'est ce que tu penses, mais tu as tort. Je ne connais rien de ton histoire et je ne sais pas ce que tu as vécu. Mais devant moi, il y a une jeune femme bien réelle qui se bat pour survivre, pour ne pas se laisser emporter par le destin. Et cette jeune femme, elle possède un courage digne des plus grands soldats. Cette jeune femme, je l'admire.
– Pourtant, tu ne le devrais point. Rétorqua-t-elle amèrement. Je suis une personne aveugle, incapable de saisir la réelle valeur des choses. Une femme dont la stupidité n'a point de limite.
– Pourquoi donc une telle opinion de toi-même ?
– J'ai fait des erreurs. Des fautes que je ne peux me pardonner.
– C'est cela qui t'enchaîne ainsi ? Qui te persuade que tu ne peux subsister convenablement ? Honteuse, elle se déroba de son regard, de ses yeux chocolat si profonds. Tu ne peux continuer de la sorte. Tu vas le regretter.
– Cela ne sera qu'un de plus. Tant d'autres le précèdent...
À la vue de cette jeune femme, le brun se sentit happé par des sentiments d'une ardeur étourdissante. À cet instant, illuminé par le doux regard de l'astre, sa chevelure d'or étincelait de mille feux. Semblable à une rivière d'étoile, elle virevoltait au grès du vent. Sa douceur était un mystère que le jeune homme brûlait de découvrir. Ses pupilles, d'un brun noisette, lui rappelaient sans cesse le fût des arbres lorrains. Une région qu'il ne put visiter depuis l'occupation, à son plus grand dam. Toutefois, malgré l'élégance de leur teinte, elles ne resplendissaient point. Ou du moins pas autant qu'il l'aurait désiré. Ce sublime regard, recouvert d'un voile mélancolique, l'attristait autant qu'il l'enrageait.
Se relevant, il vint se poster face à elle, lui dissimulant ce paysage d'une rare beauté. Surprise, la blonde fronça les sourcils, attendant patiemment une raison à ce comportement. Attendri par cette réaction, le jeune homme lui offrit un sourire d'une douce tendresse. Déconcertée, elle voulut s'exprimer, mais il le fit bien avant.
– Alice, pourquoi ne cesserais-tu pas de raviver le passé ? Pourquoi ne briserais-tu pas les chaines qui t'enserrent ainsi ? Pourquoi ne pas reprendre la route ? Pourquoi ne pas avancer ? Avancé vers le futur ? Je suis certain que tu en es capable. Alors, n'aie crainte et lance-toi. Pars à la poursuite de ton avenir.
Quand elle croisa son regard, la blonde y décela une flammèche. Menue, elle semblait toutefois animée d'une fougue intarissable. Cette passion n'était que de risibles étincelles, pourtant leur désir de croitre davantage fut étourdissant. En la découvrant, sa poitrine vint s'emplir d'une douce chaleur. Alice reconnaissait ces braises, il s'agissait là d'un sentiment bien trop familier.
Non.
Soudainement, une froideur extrême vint l'étouffer. Emprisonnant ce soudain bouillonnement, elle resserra son étreinte jusqu'à sa disparition.
Alice ne pouvait permettre une telle passion d'envelopper son cœur. La joie qui l'avait empli en distinguant cette étincelle fut brutalement chassée pour laisser place à une indifférence feinte.
« Pars à la poursuite de ton avenir. Avec moi »
La jeune femme avait saisi le sens de ses paroles. La retenue dont il avait fait preuve ne fut point suffisante pour dissimuler ses sentiments. Le brun fut bien trop négligent. Était-ce dû à son jeune âge ? À sa naïveté ? Ou bien, car cette flamme n'était qu'à son commencement ? Nulle ne sait. Toutefois, cet éclat ne fut plus qu'une source de douleur pour la blonde. À cet instant, elle aurait tant désiré être aveugle. Être suffisamment sotte pour ne pas comprendre. Comprendre la tendresse qui s'échappait de ses pupilles chocolat.
– Navré Adrien, je ne peux t'offrir ce que tu désires.
Sur cette simple phrase, la jeune femme se releva et entreprit de rentrer. Sans un regard en arrière, elle disparut à l'horizon, abandonnant le brun.
Ce dernier ne la poursuivit point. Immobile, il contempla la femme qu'il appréciait s'évanouir au loin. Cette silhouette qui semblait porter toute la peine du monde sur ses fines épaules. Serrant les poings, il se promit de demeurer à ses côtés. Peu importe si elle rejetait son amour naissant, il ne la laisserait pas seule. Elle qui souffrait depuis bien trop longtemps de la solitude.
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Nous n'étions pas destinés
RomanceLe Destin, Voici un de ses nombreux mots dont le sens nous échappe aisément. Doit-on le rendre coupable de nos peines ? Ou protecteur de nos plaisirs ? Il est ardu de répondre n'est-ce pas ? Dans ce cas, laissez moi vous conter une histoire. L'histo...