XXIII

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Septembre 1940

France


Une légère brise caressa avec délicatesse sa peau. En sentant sa froideur se répandre sur l'ensemble de son corps, la jeune femme reprit conscience. Battant longuement des cils, il lui fallut de nombreuses secondes pour s'éveiller. Quand elle apposa ses pupilles noisette autour de sa personne, ses sourcils se froncèrent avec force.

Où Diable était-elle ?

Du noir. Du noir et encore du noir. Alice était entourée de cette sinistre couleur. Où qu'elle dirige son regard, elle ne rencontra que cette dernière. Pourtant, la blonde parvenait sans mal à distinguer sa silhouette. Quelle était donc cette sorcellerie ? Était-elle en pleine rêverie ? Sans aucun doute, il n'y avait point d'autre explication plausible.

– Johanna. Déclara soudainement une voix derrière sa personne.

Cette interpellation soudaine la fit tressauter, mais elle n'osa se retourner. Rare étaient les individus ayant connaissance de sa toute première identité. Ce timbre et cette façon de prononcer son prénom avec douceur, il n'y avait qu'un seul être qui en était capable. Si cela était une farce de son esprit, alors elle le haïrait ardemment. Cela était de mauvais goût...

– Johanna, regarde-moi. Reprit-il, cette fois-ci avec une tendresse bouleversante.

– Tu n'es qu'une illusion, tu n'es pas réel. S'efforça-t-elle de répéter inlassablement. Elle ne devait pas faiblir ! Si la blonde patientait suffisamment, elle se réveillerait et alors cette mascarade prendrait fin.

– Je t'en prie... L'éclat de tristesse qu'elle perçut dans ses paroles lui fit monter les larmes aux yeux. Tant de douleur transparaissait en celles-ci...

– Laisse-moi, je t'en supplie... Cesse de me tourmenter...

– Ne suis-je donc qu'une source de souffrance pour toi ? À l'entente de cela, ce fut la colère qui emplit ses veines.

– L'homme dont tu as pris l'apparence fut cher à mon cœur ! Alors maintenant, cesse de souiller sa mémoire ! Si tu ne-

Dans son élan, Alice fit volteface, déterminée à chasser ce mirage. Seulement, quand elle croisa ce regard aquamarine, son regard, elle se sentit défaillir. Pourquoi semblait-il si réel ?

– Ne pleure pas, je t'en prie...

Malgré ses paroles, elle ne put faire tarir les larmes qui envahirent ses joues. S'approchant lentement de la blonde, il apposa avec douceur sa main sur son visage. En distinguant une délicate chaleur, Alice laissa filer un ricanement amer.

– Suis-je à ce point folle pour ressentir ton toucher ? Apposant son front contre celui de la jeune femme, elle ferma ses paupières instinctivement.

– Ce n'est pas un hasard si je me présente ainsi à toi. Il est temps. Elle ne tarda point à comprendre la signification de ses paroles. Plongeant son regard dans celui du blond, une larme solitaire s'échappa de ses yeux noisette.

– Je ne veux pas. Rétorqua-t-elle avec force. Je ne peux l'accepter... Thomas tenta en vain d'accaparer son attention en l'appelant de nombreuses fois. Seulement, bornée, la jeune femme l'ignora. Tu n'as pas le droit de me laisser !

– Mon amour, regarde-moi. S'exécutant à contrecœur, Alice sentit sa poitrine se déchirer avec violence. Je ne suis plus, et cela depuis bien longtemps. On ne peut plus revenir en arrière.

– Si tu savais comme je m'en veux ! Si je n'avais pas attrapé cette maladie, tout aurait été-

– Tu n'y es pour rien et je t'interdis de penser le contraire. Répliqua-t-il vivement, écourtant ses propos. Personne n'aurait pu prévoir ce qu'il allait arriver. Personne, même toi. Alors cesse cela.

– Mais si je ne me blâme pas, qui le fera ? Demanda-t-elle d'une voix fluette, tel un murmure. Si je n'endosse pas la responsabilité de cela, qui le fera ? Sur qui rejetterais-je la faute ? L'Océan ? Le bateau ? Le monde ? Le Destin ?! Qui en assumera les conséquences ?! J'ai besoin d'un coupable ! D'une personne sur qui déverser ma haine ! Poursuivit-elle avec désespoir. Mais il n'y a que moi.

L'attirant dans une étreinte, la jeune femme s'abandonna à ses sanglots sans honte. S'accrochant ardemment à sa silhouette, la blonde ne voulait pas le quitter de nouveau.

– Il n'y a personne à blâmer dans cette histoire, et sûrement pas toi. Notre existence est ainsi. Nous naissons, nous grandissons, nous faisons des rencontres, nous aimons et enfin nous mourrons. Cela est le cycle de la vie. Personne ne peut le briser.

– Cela est trop cruel. Tu es parti bien trop tôt...

– C'est ainsi et nous ne pouvons rien y faire. Tout comme je ne peux demeurer davantage à tes côtés.

– Ne dis pas cela, je t'en prie...

– Johanna, il est temps que tu me dises adieu...

– Je ne le peux. Répliqua-t-elle d'une voix emplie de tristesse. Comment le pourrais-je ?! S'écartant de sa personne, il lui offrit un sourire d'une beauté bouleversante.

– Je ne te demande pas de m'oublier. Mais si cela est ce que tu désires, alors soit. Je veux que tu me laisses partir. Que tu acceptes ma disparition. Caressant avec douceur sa joue, le jeune homme prit soin de graver chaque détail de son visage dans sa mémoire. Fais-le, d'accord ? Tant de chose t'attends dans cette vie, ne la gâche pas à ressasser le passé. Désormais, il y a ce jeune homme à tes côtés, ne le laisse pas tomber...

Elle voulut lui répondre quand soudainement son image se distordit avant de disparaître entièrement. Alice hurla en vain son nom. Le bras tendu, elle sortit subitement de son sommeil.


Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant