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Juin 1937

France


La douleur. Elle enveloppait son corps d'une douceur feinte. Se répandant allègrement dans chacune de ses veines, elle s'insinuait toujours plus profondément. Soudainement, elle ouvrit les yeux. Frappée par une douleur fulgurante, semblable à aucune autre, elle s'extirpa de force de sa léthargie. Recouvrant petit à petit ses esprits, elle prit instinctivement une grande goulée d'air. Seulement, comme malmené par une fine lame, sa gorge lui causa une profonde souffrance. Apposant ses mains sur cette dernière, elle crut au vain espoir de pouvoir l'apaiser ainsi.

La douleur devenant supportable, elle posa un regard intrigué sur son corps, encore inconnu à cet instant. Des mains menues, plutôt fines et abimées. Elle ne devait pas excéder les dix-neuf ans, peut-être était-elle légèrement plus jeune ? Passant délicatement celles-ci dans sa chevelure, elle en recueillit un brin. Malgré l'abondante couche de poussière et de suie, la jeune femme parvint à distinguer la clarté de ce cheveu. Il était blond, d'une couleur éclatante sans aucun doute. Remarquant que le pigment de cette dernière variait d'une vie à l'autre, un léger rire amer fila entre ses lèvres.

Posant son regard, d'une teinte encore inconnue, autour de sa personne elle prit peu à peu conscience de son environnement. À ses côtés, tout n'était que destruction et ruines... Au vu de ce qu'elle parvenait à reconnaitre, la jeune femme se trouvait dans un ancien village ravagé par les flammes. Vicieuses, puissantes, dévastatrices, elles n'avaient laissé que de vulgaires débris comme preuve de son passage.

En ne constatant aucun signe de vie, la blonde en déduisit qu'elle fut malheureusement l'unique survivante. Enfin, pouvait-on vraiment la qualifier ainsi ? Si elle s'était réincarnée dans ce corps, cela signifiait que sa propriétaire originelle avait péri. Cette jeune femme avait connu un sort bien injuste, elle était si jeune...

Voyant au loin l'astre s'élever lentement, la blonde discerna du coin de l'œil un léger éclat. Abaissant sa tête, elle trouva prestement l'origine de ce dernier. Fermement accrochée à son coup, une délicate chaîne trônait en maître. Posant son regard admiratif sur celle-ci, elle s'attarda sur le médaillon logé au creux de sa poitrine. Avec toute la douceur du monde, elle glissa sa paume sous ce dernier. L'ouvrant délicatement, une photographie se découvrit à elle. Sur cette feuille vétuste, trois visages furent discernables. Assistant à la représentation d'une famille aimante et comblée, la blonde sentit une larme dévaler lentement sa joue. Les mains en proie à de légers tremblements, elle mit quelques instants à distinguer les gravures accompagnant la photographie.

« Que Dieu bénisse ce trésor qu'il nous a octroyé. Qu'il protège notre petite Alice de la barbarie des hommes »

-Alice...

Voilà donc son nouveau prénom, sa nouvelle identité. Sentant une profonde colère animer ses entrailles, elle referma prestement le médaillon, voulant ôter de sa vue ces paroles. Un nom était un gage d'appartenance et d'amour. Un mot qui nous suivait tout au long de notre vie. Mais elle ? Elle, qui traverse les âges et les époques. Elle, qui n'a plus de foyer. Elle, qui ne cesse de changer d'identité. Comment peut-elle se rattacher à un simple prénom ? Désormais, ce mot si important, si vital et si significatif, était vide, creux, sans aucun sens et sans aucune importance...

Apposant ses mains sur le sol terreux, la blonde laissa échapper un cri. Seulement, malgré toute l'aversion qui l'emplissait, la tristesse demeurait encore. Comme une vieille amie, elle revenait inlassablement la torturer de sa vile douleur. Lors des nuits glaciales, elle s'entortillait autour de sa personne, lui rappelant sans cesse sa profonde solitude. Quand allait-elle donc laisser son âme en paix ? Comment guérir ? La blonde avait beau s'entourer, jamais, cette souffrance ne dépérissait...

Combien de temps ? Combien de fois ? Quand est-ce que tout cela allait cesser ? Ne pouvait-on pas la laisser trépasser ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!

Témoignant son aversion dans une plainte sonore, la jeune femme se laissa choir sur le sol. Faisant fuir les oiseaux environnants, elle se retrouva plongée dans un profond silence. Encore une fois...

-Pourquoi moi ? Rétorqua-t-elle, d'une faible voix, presque éteinte.

Ce fut ce jour-là, à l'aube de l'an 1937, qu'elle débute sa nouvelle vie. Connue désormais sous le nom d'Alice, elle s'apprêtait à vivre une troisième fois. Mais cela à quel prix ?


Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant