XXXVII

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Octobre 1719

Jamaïque

Bercé par le mouvement des vagues, le jeune homme somnola, adossé à la rambarde du navire. L'inquiétude des derniers jours avait été telle que son sommeil en fut grandement perturbé. Depuis combien de temps n'avait-il pas passé une nuit entière ? Il ne saurait le dire.

Malgré sa certitude de parvenir enfin à trouver un remède pour Johanna, il ne put se contraindre à détendre son esprit. Tant de scénarios défilaient par centaines, faisant croitre son angoisse. Que se passerait-il s'il revenait bredouille ? Et si cette plante s'avérait inefficace ? Des questionnements incessants qui le rongeaient nuit et jour.

— Tu ne devrais pas te morfondre ainsi l'ami. Déclara soudainement un jeune homme inconnu. Son accent ainsi que sa chevelure rousse témoignaient indéniablement de son appartenance à l'Europe. L'océan recèle d'innombrables mystères. Il vaut mieux être en forme pour pallier le moindre problème.

– Merci pour le conseil. Tendant sa main vers le blond, le jeune homme attendit que ce dernier réponde à son geste. Ce qu'il fit prestement.

– Louis. Et toi ?

– Thomas, enchanté.

– De même ! Dis-moi, que fais-tu sur ce vieux rafiot ? Face à cette appellation, il laissa échapper un sourire moqueur, rictus que le roux lui rendit.

– Je cherche un remède pour la peste.

– Ah merde. Pour une connaissance, j'imagine ?

— Ma fiancée. Louis apposa avec délicatesse sa main sur son épaule en signe de réconfort.

– Je te souhaite bonne chance.

— Merci, je vais en avoir besoin

– Si tu as un pépin, n'hésite pas à venir me voir ! Déclara-t-il d'un sourire éclatant.

— Fais-en de même avec moi. Vu l'incompréhension peignant subitement son visage, le roux ne semblait pas prêt à entendre cela.

– Pourquoi donc ?

– N'est-il pas naturel de s'entraider entre amis ? Le jeune homme se mit à rire à gorge déployée, faisant ainsi ricaner le blond.

— Et bien cher ami, j'ai hâte de traverser les océans avec toi !

*********** **************

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis cela. Des journées aussi longues qu'épuisantes pour le pauvre Français. À force de demeurer sur la terre ferme, il avait perdu toute son aisance sur les flots. La bile remontait sans cesse le long de sa trachée, animée par la fervente volonté de s'échapper. Fort heureusement pour le blond, il parvint à la réprimer suffisamment pour éviter cela. Cependant, cela n'empêcha point son teint de prendre une couleur blanchâtre. Un changement, qui ne passa point inaperçu à l'œil aiguisé de Louis. Ce jeune matelot voguait sur les océans depuis toujours. La légende entourant sa naissance fut que sa mère le mit au monde à même les planches du vieux rafiot de son père. Une histoire bien farfelue, mais dont il se plaisait à croire l'authenticité. Cela faisait une bonne anecdote à conter aux vieux marins qui l'accompagnaient lors de ses nombreux voyages.

– Un problème, l'ami ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette ! Déclara-t-il avec énergie tout en apposant sa main sur le dos de Thomas. Son geste dut être trop puissant puisque le pauvre jeune homme se précipita avec empressement vers le bastingage du bateau. Désolé ? Rajouta-t-il avec hésitation, peu confiant vis-à-vis de la nécessité de ce mot.

En réponse, Thomas lui adressa un regard haineux tout en essuyant sa bouche sur un torchon. Se laissant tomber à même le sol, il s'adossa aux barrières tout en soupirant profondément. Gêné, le roux s'installa en silence à ses côtés. Mouvant son corps, cela fut la preuve de son mal-à-l'aise. Face à cette réaction d'une sincérité flagrante, le blond n'eut pas cœur à lui en vouloir davantage.

– Prépare-toi à subir mon courroux. Cela fait des jours que je tentais de garder ces maigres repas dans mon estomac. Le marin fut quelques instants éberlué avant de croiser le regard empli de malice de son ami. S'esclaffant soudainement, il apposa, cette fois avec douceur, sa main sur l'épaule du blond.

– Je suis prêt à subir mille tortures si cela me permet de me racheter auprès de ta personne. Distinguant la direction que son nouvel ami empruntait, Thomas se prit au jeu.

– J'espère bien. Tu as osé froisser l'illustre homme que je suis. Improvisant une révérence, ma foi, disgracieuse, le roux se mit à déblatérer d'innombrables excuses.

– Je vous prie de faire preuve de clémence. Pardonner mon horrible péché. Ils s'échangèrent une œillade avant de laisser filer des éclats de rire puissants. Louis énonça de nouveau ses précédentes paroles, une moue de dégoût décorant son visage. Bon Dieu, que me fais-tu donc dire ?! Je n'ai jamais parlé aussi bien depuis des lustres !

– Depuis quand exactement ? Ajouta le blond dans un ricanement.

– Pas avant ma naissance, au moins ! Leur hilarité reprit de plus belle. Cette combinaison fut pour le moins étrange, mais les deux hommes s'entendirent à merveille.

Ce fut une effusion de félicité qui emplit l'air marin. Une preuve de vie fébrile sur ces eaux tumultueuses. Un bonheur simple aux antipodes de la tempête se profilant à l'horizon. Cette dernière progressait silencieusement, tel un serpent prêt à se jeter sur sa proie ignorante.

Je me suis toujours demandé si le Destin se jouait de nous. J'ai préféré croire naïvement qu'il ne désirait que notre bonheur et que là était son unique mission. Pourtant, je ne peux empêcher le doute de m'envahir. Est-ce réellement le cas ? Je veux me convaincre que cette rencontre fut de son dû. Seulement, avait-il déjà écrit la suite de cette histoire ? Savait-il déjà ce qu'il allait suivre ? Si cela est le cas, alors, je le trouve bien cruel...





Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant