I.4

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Chris réapparaît devant moi. Il enchaîne les allers-retours depuis tout à l'heure. Le bar ne se désemplit pas malgré l'heure tardive. Le bar de Chris est un de ces bars qui ferment au petit matin, été oblige. Je lève la tête vers lui. Il me regarde avec un petit sourire en coin. Je vois la malice dans son regard. Pourquoi il me regarde comme ça, cet imbécile ?

« T'avais l'air de la connaître. »

Inutile de lui préciser que je parle d'Hortense. 

« Elle est venue plusieurs fois ici.

- Pourquoi je l'ai jamais vue ?

- Tu l'avais peut-être pas remarquée.

- Impossible. J'oublie jamais un visage. »

C'est un fait. Ma mémoire n'a aucun trou, aucune lacune. Je n'ai jamais croisé ce visage, je m'en serais souvenue. Déformation professionnelle.

« Surtout celui-là, hein ? »

J'ignore superbement sa remarque. Je déteste quand on me coupe pendant mon interrogatoire, surtout si c'est pour balancer une remarque futile. Déformation professionnelle également.

« T'entends quoi par client compliqué ?

- Juste des gens qui râlent, c'est pas plus grave que ça t'inquiètes pas. Pas de bras à casser ce soir.

- Tant mieux.

- N'empêche, habile manière de changer de sujet. »

Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il raconte celui-là encore ?

« Je croyais que tu draguais pas ce soir.

- J'ai pas dragué.

- Et cette fille alors ?

- Hortense ? Je lui ai juste parlé deux minutes ! Arrête de croire que je drague chaque fille à qui je parle.

- Tu sais déjà son prénom ! Je te laissais un peu plus de temps, t'aurais pris son numéro.

- Je m'encombre pas de numéro, tu devrais le savoir. Et elle est d'accord avec moi, faut vraiment être un détraqué pour écouter cette horreur et la diffuser dans ton bar. »

Chris soupire et lève les yeux au ciel. Il me connaît par cœur. Je sais que je ne peux pas faire semblant avec lui. Dans ce genre de situation, quand la vérité m'est difficile à avouer, je me défends en lançant des piques plus ou moins cinglantes pour que mon interlocuteur n'y pense plus. Mais avec Chris, ça n'a jamais marché.

« Elle t'a tapé dans l'œil, je l'ai vu.

- Oui, bon, ok. Je la trouve jolie. Elle était là, à côté de moi, c'était trop tentant. J'ai craqué, je lui ai parlé. Mais je l'ai pas draguée.

- T'as pas pu t'empêcher de lui faire un compliment.

- Je lui ai juste dit qu'elle avait un joli prénom, c'est vrai, c'est joli Hortense. »

Il hausse un sourcil, peu convaincu par mes explications. Pourquoi je me justifie d'ailleurs ? J'ai envie de lui donner tort, mais force est de constater qu'il a raison. Je ne peux pas m'empêcher de draguer, surtout quand j'ai une belle femme en face de moi. Je vis l'amour par des coups d'un soir depuis des années. C'est la seule façon que j'ai d'aimer. Quel intérêt d'avoir la même personne dans son lit chaque nuit ? J'ai déjà essayé, et ça ne m'a pas réussi. Mon cœur n'en est ressorti que meurtri et piétiné. Alors je m'abandonne aux histoires sans lendemain, dans lesquelles le cœur n'est pas impliqué. C'est tellement plus simple comme ça.

« Je vais tenir ma promesse tu verras. De toute façon, elle avait pas l'air très réceptive. Elle voulait me caser avec sa pote. »

Malheureusement pour moi, sa pote m'intéresse bien moins qu'elle. Ce n'est pas que sa pote n'est pas jolie. Mais avec cette chevelure, ce visage aux traits fins, Hortense a écrasé toute concurrence. Elle a l'air vraiment sympathique, en plus. Je suis sûre que c'est une personne très intéressante. Le peu de temps pendant lequel on s'est parlé a suffi à raviver une petite flamme en moi. Celle que j'ai les soirs où je veux séduire et contempler une femme, puis laisser le destin s'occuper du reste. Généralement, je m'en sors bien. S'il existait un jour des compétitions de drague, je pense que je ramènerai beaucoup de prix chez moi. Je ne me vante pas de ce talent, si on peut appeler ça un talent. C'est devenu quelque chose de compulsif chez moi, un poison, une addiction à rajouter aux autres que j'ai déjà. La liste commence à être longue. Mais ce soir, je dois avouer que mon effet n'a pas fait d'étincelles. Pas réciproquement en tout cas. On ne peut pas plaire à tout le monde. Cette phrase m'a toujours fait sourire. Elle est quelque peu rassurante quand personne ne peut vous supporter.

« J'ai bien peur que ça soit réciproque, Justine. »

Il me désigne d'un coup de tête la table où elle est assise. Je me tourne légèrement et je croise ses yeux. Depuis combien de temps me regardes-tu Hortense ? J'essaie de chercher la réponse dans son regard, mais elle détourne le sien trop rapidement. Le contact est déjà rompu, bien trop court comme notre conversation. Suis-je condamnée à rester sur ma faim avec cette fille ? Certainement. Je me retourne vers Chris, mais celui-ci a encore une fois disparu. Je suis à nouveau seule, en tête à tête avec mon verre d'alcool. Ça doit être ça, la véritable solitude.

Petit à petit, le bar se vide. Je regarde l'heure, il est minuit passé. La plupart s'en vont pour essayer de trouver un peu plus de fraîcheur à l'intérieur, puis reviendront prendre quelques verres supplémentaires plus tard. Toujours la même chose depuis deux semaines, toujours ce constant yo-yo de personnes. J'en suis là de mes réflexions lorsqu'une voix, qui m'est étrangement familière, m'interpelle :

« Justine ? »

Je me retourne pour apercevoir Hortense. Elle porte son sac sur elle, elle est sûrement sur le départ.

« Tu viens me dire au revoir ? C'est mignon. »

Elle rit doucement. Elle est mignonne quand elle rit. Je vois son groupe d'amis au loin qui commence à quitter le bar.

« Heu...ouais. En quelque sorte. »

On dirait qu'elle-même ne sait pas pourquoi elle est venue me parler.

« C'est dommage. Je t'attendais.

- Quoi ? »

Je pouffe de rire face à sa tête.

« Je rigole Hortense, dis-je en riant.

- Je peux toujours rester. »

Je sens que je souris. Un peu trop fort. C'est fichu.

« Je te paye un verre ? »

Que voulez-vous ? On ne change pas une technique qui marche. On ne change pas une femme qui aime la drague. 

Cœur de pierre, esprit de fer (BagheraJones & HortyUnderscore Fanfic)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant