IV.5

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Ma sonnerie retentit. Ça ne peut pas être Hortense, elle vient de partir, j'ai entendu sa porte claquer et ses pas bruyants dans la cage d'escalier. Rien que l'imaginer dévaler les escaliers en courant m'a fait sourire.

Je ne fais que penser à la journée d'hier que j'ai passé avec Hortense. Je me refais le film dans ma tête. Le musée, la sieste dans le parc allongée à côté d'elle, les fous rires à IKEA, les regards au restaurant, la balade dans les rues main dans la main, puis son lit, ses draps, nos doigts et nos bouches entremêlés, et bien plus encore. C'était comme un rêve, mais en mieux, car ça n'en était pas un. C'était bien réel, et ce fut une journée de pur bonheur. Un bonheur que je me suis refusé pendant des années et que je suis tellement reconnaissante de vivre avec elle.

Je peine encore à réaliser que je lui ai dit je t'aime. Ce je t'aime ne voulait pas vraiment dire je t'aime, car ces trois mots sont beaucoup trop surcotés pour ce qu'ils sont réellement. On les a trop sacralisés, on a fait d'eux l'étape ultime à atteindre dans une relation pour être vraiment heureux. Quelle connerie. Je n'avais pas besoin de dire je t'aime à Hortense pour être heureuse avec elle, mais ces trois petits mots sortis de ma bouche voulaient plutôt dire merci d'être dans ma vie, merci de me tenir la main, merci de m'accepter malgré mon sale caractère, merci de m'écouter quand ça va mal et quand ça va bien. Finalement, je pense que dire merci est bien plus fort que de dire je t'aime. La société n'est juste pas prête à ce débat.

Je sens qu'Hortense a réveillé quelque chose en moi. Je m'aime un peu plus depuis que je suis avec elle. Je souris beaucoup plus également, et je sens cette curieuse chaleur dans mon cœur quand je suis en sa compagnie. Je dois reconnaître que ça m'a fait bizarre au début, ça faisait si longtemps que mon cœur était insensible. On aurait dit qu'il se réveillait d'un long coma, sans savoir pourquoi on le sollicitait à nouveau, lui devenu si noir qu'il n'était presque que des cendres. Hortense a réussi à y rallumer une petite étincelle. Et surtout, avec elle, je peux enfin lâcher prise. Je me le permets. Parfois j'accepte de me laisser porter par le courant de la vie, j'accepte d'arrêter de vouloir tout garder sous mon contrôle. Parfois, je lui délègue les commandes, et elle mène merveilleusement bien notre barque.

En y pensant, je souris niaisement. Ça y est, je suis foutue, l'amour s'est emparé de moi. Ma sonnerie retentit une seconde fois. Justine, merde, ce n'est pas le moment de rêvasser. J'ouvre la porte avec un grand sourire, qui s'efface instantanément. J'espérais secrètement que c'était Hortense. Mais non. Je reconnais ces cheveux bruns courts, ce visage aux traits sévères, ces yeux verts qu'elle m'a donnés, qui désormais ne lancent plus que des éclairs. C'est la seule émotion qu'elle connaît depuis des années. La colère. Et c'est moi qui en fait les frais.

« Maman ?! Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je me suis déplacée comme c'est pas toi qui le ferait. »

Première remarque. Elle n'est même pas encore rentrée dans mon appartement qu'elle commence déjà à me faire des reproches. Elle est mal placée pour m'en faire. Depuis que j'ai déménagé en France, elle n'est jamais venue me voir, pas une fois. C'est moi qui faisais les déplacements pour venir la voir. Au début. Puis j'ai décidé d'arrêter cet effort, par lassitude et par fatigue. Mais au-delà de ça, je voulais éviter ses regards menaçants, ses mots tranchants comme une lame de boucher. Je voulais éviter de revenir de chacune de ces visites avec la certitude que j'étais une honte et une grosse merde. Voilà pourquoi je ne viens plus te voir maman, mais ça je ne lui dis pas. Je déteste me taire face à elle. Mais si je crachais mon venin comme elle le fait, il ne resterait plus rien de notre relation. Il ne reste déjà que des ruines, et encore une fois, c'est moi qui fais l'effort pour ne pas briser le lien à jamais.

« C'est la première fois que tu viens ici, maman, dis-je en la laissant entrer.

- Je me dis que j'ai bien fait quand je vois l'état de ton immeuble.

Cœur de pierre, esprit de fer (BagheraJones & HortyUnderscore Fanfic)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant