Chapitre 53

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Nous décidons finalement de rentrer à la villa, laissant les autres chez Salma afin de nous préparer pour cette soirée qui marquera la fin de ce séjour.  Cette soirée, l'anniversaire d'Ismail, sera aussi le dernier lien tangible avec Amine.

Le trajet en voiture est étrangement silencieux. Skander, habituellement plein d'énergie et toujours prêt à faire des blagues, est inhabituellement taciturne. Il porte ses lunettes de soleil, mais même derrière cette barrière, je peux percevoir quelque chose de différent chez lui.

D'habitude, Skander met de la musique pour égayer le trajet, plaisante ou raconte des anecdotes amusantes. Mais aujourd'hui, il semble perdu dans ses pensées, comme si un poids invisible pesait lourdement sur ses épaules. Les rares fois où je lui parle, il ne répond que par des monosyllabes distraits, son esprit clairement ailleurs.

Je me surprends à jeter des coups d'œil furtifs vers lui, cherchant des indices sur ce qui pourrait bien le troubler autant. Ses traits sont tendus, ses lèvres pincées, et il évite soigneusement de croiser mon regard. Quelque chose ne va vraiment pas.

Mes pensées dérivent inévitablement vers la soirée à venir. L'anniversaire d'Ismail est censé être une fête, une célébration. Pourtant, avec toutes les tensions accumulées et les émotions conflictuelles des derniers jours, je ne peux m'empêcher de craindre ce qui pourrait se passer. Le souvenir de la matinée, des regards échangés et des silences lourds de sens, pèse sur moi.

En entrant dans la villa, Beya me prend à part dans le jardin, impatiente de savoir ce qui s'est vraiment passé hier. En racontant tout cela, elle reste muette, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Elle touche ses cheveux nerveusement et parfois ouvre grand la bouche en signe de surprise.

— Alors, raconte-moi tout, commence-t-elle, les yeux pétillants de curiosité.

Je prends une profonde inspiration, puis commence à lui expliquer ce qui s'est passé. Elle m'écoute attentivement, mais contrairement à son habitude, elle reste muette. Ses réactions silencieuses sont inhabituelles : elle touche ses cheveux, ouvre grand la bouche à certains moments.

— Quoi ? Tout ça ? finit-elle par lâcher, visiblement choquée.

— Oui..., confirmai-je, un peu sur la défensive.

Elle me regarde fixement, l'air perplexe.

— Tu ne te sens pas un peu dure avec lui ? Pourquoi tu n'as pas essayé de l'écouter une dernière fois quand il est revenu en voiture ?

Je recule, sentant l'injustice de ses paroles.

— T'es sérieuse ? Après tout ce qu'il m'a fait ?

— Je ne sais pas, Kenza. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans toute cette histoire, moi je te le dis. Le mec qui était avec lui sur le bateau, le sang, lui en train de te supplier... et Ismail...

Je fronce les sourcils, confuse.

— Qu'est-ce qu'il a Ismail dans tout ça ?

Elle roule des yeux, visiblement exaspérée.

— Ne fais pas la débile, tu le sais.

— Quoi ?

— Tu lui plais, Kenza. Pas besoin d'un bac +5 pour le comprendre quand même.

Je reste un instant silencieuse, absorbant ses paroles. Le regard insistant d'Ismail, ses gestes attentionnés, ses mots doux... Tout cela prend soudain une nouvelle signification. Beya continue de me scruter, cherchant une réaction.

— Mais...

— Moi, je pense que tu évites Amine inconsciemment, parce que tu as peur de te mettre dans la position de choisir entre les deux...

— Non, arrête avec tes interprétations !

— Ce que je veux dire, c'est que tu dois te poser les bonnes questions. Qu'est-ce que tu ressens vraiment ? Qui te fait sentir bien, en sécurité, aimée ?

Je soupire, sentant le poids de ses paroles. Mes pensées tourbillonnent, essayant de faire sens de tout cela. Elle me regarde avec une expression de compassion, son visage habituellement joyeux maintenant sérieux.

— Tu sais, Kenza, parfois on est tellement pris dans nos émotions qu'on ne voit pas ce qui est juste devant nous. Ismail est là pour toi, il t'a montré qu'il tient à toi. Amine... il a ses propres démons à affronter.

— Mais Amine a aussi été là pour moi, tu sais... au début, il était différent.

— Peut-être. Mais ce n'est pas seulement à propos de lui donner une chance. C'est à propos de toi, de ce que tu veux vraiment.

Je la regarde, cherchant des réponses dans ses yeux. La brise du matin agite doucement les feuilles autour de nous, créant une atmosphère presque apaisante malgré la lourdeur de notre conversation.

— Kenza, tu pars en France, après tout. Qu'attends-tu d'Amine ? Parfois, l'univers sait mieux que nous , murmure-t-elle.

Je la fixe, ressentant l'urgence de comprendre, l'urgence de trouver une réponse à mes tourments intérieurs.

— Je sais pas, vraiment. Mais j'ai besoin de savoir que tout cela n'était pas dans ma tête, que je ne suis pas folle , avouai-je, sentant mon cœur battre plus fort dans ma poitrine.

Son regard se fait plus profond, comme s'il tentait de pénétrer les méandres de mes pensées.

— Il t'a confirmé hier pour l' histoire avec son ex copine, rappelle-t-elle.

Je soupire, sentant le poids de mes doutes s'alourdir un peu plus.

— Oui, mais ça ne suffit pas. Pourquoi n'a-t-il pas parlé plus tôt ? , questionnai-je, cherchant désespérément une lueur de compréhension dans ses yeux.

Beya me scrute avec une intensité qui me déstabilise légèrement.

— Il cache des choses, c'est évident. Mais est-ce vraiment important de le savoir maintenant ?  interroge-t-elle

Je sens une bouffée d'émotions me submerger, comme si chaque mot venait toucher une corde sensible en moi.

— Je ne sais pas... Je ne sais pas », avouai-je, mes mots porteurs d'une confusion profonde.

Beya semble prendre une profonde inspiration, comme pour rassembler ses propres pensées avant de les partager avec moi.

— Pour moi, c'est clair. L'univers te montre qu'Amine n'est pas l'homme pour toi. Il a orchestré votre rencontre une dernière fois pour te faire comprendre que c'est terminé, et il met Ismail sur ta route..

— Beya, c'est trop... métaphysique pour moi , avouai-je, sentant un sourire amusé étirer mes lèvres.

— La vie est ainsi, chouchou. Mes paroles ne sont pas du Coran, mais juste une façon de voir les choses..

Beya me serre dans ses bras avec une tendresse réconfortante, comme si elle voulait apaiser les tumultes qui agitent mon esprit.

— Ouvre ton cœur à d'autres horizons, Kenza. Tu n'es pas sa copine, il ne s'est jamais rien passé entre vous. Tu ne lui dois rien. Accepte, pour une fois, l'amour que tu mérites , murmure-t-elle doucement à mon oreille.

Alors que je réfléchis aux paroles de Beya, mon téléphone vibre dans ma poche. Je le sors et découvre un message d'un numéro inconnu : "C'est Ismail, prépare-toi à 19h, je viens te chercher. Ne pose aucune question."

Je tends mon téléphone à Beya pour qu'elle lise le message.

— C'est un signe ? lui demandai-je.

Beya lit le message, puis me regarde avec un sourire énigmatique.

— Oh mon dieu! il nous écoute ou quoi ?

Une nuit étoiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant