Chapitre 2

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La Tunisie a toujours bercé mon âme depuis ma naissance. Aimer ce pays, ce n'est pas quelque chose qu'on apprend, mais entre l'amour et la haine, il n'y a qu'un fil fragile.

J'ai pris la décision de quitter ce pays que j'aime tant, celui qui a été témoin de mes premiers pas, pour devenir la jeune femme que je suis aujourd'hui.

Au fond de moi, je me sens comme une ingrate, une moins que rien, une patriote de pacotille, comme je le murmure à voix basse derrière mes cris, pour camoufler ma honte et mon égoïsme. Mais pour aspirer à ma vie de rêve, il faut tout sacrifier, y compris mon estime de soi, les économies de mes parents, et même mon patriotisme.

Je fais partie de la jeunesse du jasmin. Pendant la révolution, j'avais précisément 11 ans. Je représentais l'espoir, je faisais partie de cette génération chanceuse, les élus, ceux pour qui on se bat, ceux pour qui on meurt. Mais ses enfants deviennent en un clin d'œil des adultes, et l'espoir se métamorphose pour devenir à son tour du désespoir.

La Tunisie devient un pays où il est difficile non pas de réaliser ses rêves, mais de rêver tout court. Le quitter devient une tendance, un signe de réussite, car oui, chaque fois qu'une personne de mon entourage déclare partir à l'étranger, on la félicite.

J'aime ce pays, je l'aime inconditionnellement, mais à quoi bon l'aimer s'il ne m'aime pas en retour ?

Tous les auteurs renommés parlent de cela, un amour à sens unique ne mène nulle part.

À croire qu'aimer à sens unique est ma spécialité...

J'ai choisi comme destination la France, un pays que je méprise personnellement. J'ai commencé la procédure sans même l'accord de mes parents, car s'il y a bien une chose qui fonctionne dans cet État, c'est la notion du "fait accompli".

Le plan était simple : passer mon stage, réussir mon projet de fin d'études, profiter de mon été, et m'envoler vers les étoiles, en laissant derrière moi cette jeune fille, en espérant revenir avec un cœur apaisé, avec une vision différente des choses, avec l'esprit non pas du pays que j'ai fui, mais celui que j'ai hâte de retrouver. Celui où l'été sent le jasmin, le vrai jasmin, et non pas ce symbole politique que l'on entend jour et nuit à la télévision.

Oui, les jeunes suivent l'actualité politique, mais nous sommes les derniers à aller voter, car aucun guignol ne nous représente. Nous savons pertinemment qu'il faudrait une réelle révolution, une révolution intellectuelle pour sauver ce qui reste à sauver. Alors, nous jouons les ignorants, nous nous concentrons sur nos études, la pression sociale, nos amourettes.

Parce qu'on n'est jeune qu'une seule fois, et qu'on mérite de s'évader, de préserver notre santé mentale de cette négativité et de cette intolérance qui submergent même les villes les plus huppées.

Ce petit bout de terre me rend vieille d'un coup, à force de trop réfléchir. Si je reste, c'est mon avenir qui est fichu, pas ma réputation de nationaliste.

Vous vous dites que je ne parle que négativement, mais sachez que j'aime ce putain de pays. Rien ne compte plus que lui. Mais suis-je en train de lui jeter la faute par peur d'admettre la vraie cause qui me pousse à partir ? Oui, la vraie : je suis en train de fuir.
Mais fuir quoi ?
Fuir qui ?

Mes pensées furent interrompues.

"Pourquoi la France ?" me demande la responsable de Campus France.

"La liberté", ai-je répondu. "La liberté".

La responsable semblait surprise par ma réponse, mais elle ne fit aucun commentaire. Peut-être était-elle habituée à entendre diverses réponses, parfois même préparées à l'avance. Elle prend note, me regarde, puis me pose une liste interminable de questions.

Une nuit étoiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant