La trahison

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Pierre est resté quelques heures avec moi avant de reprendre la route. On a pu papoter, se parler de notre vie depuis le lycée, se chuchoter des mots d'amour, constater qu'on se faisait toujours autant rire l'un et l'autre, qu'on était les mêmes sur tellement de sujets. Quand il doit repartir, j'ai l'impression de dire au revoir à ma bouteille d'oxygène en plein océan. Pour lui aussi, c'est dur, on a du mal à se lâcher. Il me propose d'assister au show du samedi suivant, mais je lui explique l'interdiction des médecins :
- J'ai eu un traumatisme crânien, je dois éviter à tout prix la foule, le moindre choc à la tête pourrait me renvoyer à l'hosto pour des examens supplémentaires, j'aimerais clairement éviter... et puis j'ai pas le droit de venir en loge, je rajoute amèrement, tout en sachant qu'il n'y est pour rien - donc on va reporter l'idée du concert.
Il me promet de revenir dès que possible, et de m'envoyer des messages s'il le peut.
Je lui dis au revoir tendrement en m'agrippant à son pull jusqu'au dernier moment. Je respire son parfum au creux de son cou, là où il sent le plus 'lui-même' , et je serre tellement fort qu'il doit délicatement prendre mes poings serrés dans ses mains pour les décrocher et les mener jusqu'à son visage pour les embrasser. Il respire un grand coup et tourne les talons, empoignant avidement son briquet comme une bouée de sauvetage.
Je retourne me reposer car ma tête commence à me faire un peu mal, et avec ce trop plein d'émotions, je m'endors directement.
Le lendemain, ne tenant plus de rester au lit toute la journée, je décide de retourner à la fac. Je me sens assez en forme, avec les médicaments, pour passer la journée en cours.
Je suis accueillie par tous mes potes qui se jettent sur moi (délicatement car ils sont prévenus que je suis fragile !), j'ai l'impression d'avoir à faire à une troupe de labradors tellement ils me font la fête.
On se met en route vers l'amphithéâtre et je suis assaillie de questions sur mon accident.
- tiens d'ailleurs, c'est pas le chanteur de la starac' qui a été pris en photo par des fans sortant de ton hôpital ?
Me dit Zoë en scrollant pour me montrer la photo. Elle a été prise la nuit, devant l'entrée de la clinique. Seul l'intérieur du couloir est allumé, mais l'éclairage est suffisant pour reconnaître clairement le nom de ma ville en grosses lettres au dessus de la porte coulissante, et deviner le visage de Pierre. Il est évident qu'il ne voit pas qu'il est photographié, il a sa capuche de sweat et des lunettes de soleil malgré l'obscurité, il fume une cigarette, sa guitare sur le dos. C'est clairement une photo volée, qui a été prise sans son autorisation. Je comprends aussi qu'à part Alba, aucun de mes amis n'est au courant que je le connais. Ça me rassure, je savais que je pouvais compter sur elle, elle n'a rien dit à personne. Je fais mine d'être étonnée.
- ah oui, c'est trop bizarre ! C'est peut être une vieille photo de quand ils sont passés en concert ici, il a peut être dû aller se faire soigner quelque chose discrètement ?
- C'est sûr que c'est ça ! Renchérît Paul, et je le remercie intérieurement pour sa naïveté - j'ai entendu dire qu'il avait des problèmes aux oreilles.
- On a crié tellement fort, on a dû lui aggraver sa surdité, rigole Anouk, et on éclate de rire avec elle, même si j'ai un petit pincement au cœur de me moquer des oreilles fragiles de mon Pierre !
Je me concentre sur le cours de la matinée et apprécie de retrouver cette routine.
Juste avant la pause dej, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche et je m'empresse de regarder si c'est un message de mon amoureux. Je fronce les sourcils quand je vois qu'un numéro inconnu m'a envoyé un message. Je l'ouvre avec difficulté car mes mains tremblent, j'ai un mauvais pressentiment.
« Salut, je suis le manager de Pierre. Je ne sais pas ce qu'il se passe entre toi et lui, ni ce qu'il t'a raconté pour t'embobiner mais il te ment. Pierre est en couple avec Helena, une relation qu'on leur a pour le moment demandé de garder discrète. Ils sont très heureux ensemble. Tu auras peut être du mal à me croire, même si tout le monde voit à quel point c'est évident, mais pose toi la question : pourquoi il ne t'a jamais invitée en coulisses d'après toi ? Je te conseille d'oublier votre histoire bidon et de passer à autre chose ».
Je suis tellement choquée que je n'ai aucune réaction. Je me contente de relire encore et encore les quelques lignes du texto, comme s'il allait finir par prendre sens. Mais plus je le lis moins je le comprends. C'est totalement absurde, les mots doivent être dans le mauvais ordre, il y a confusion, je n'y crois pas. Et pourtant, ma pire crainte devient réalité. Helena est sublime, elle partage la même passion et surtout, ils passent nuit et jour ensemble. Elle est drôle, sympa, chante divinement bien et peut vraiment comprendre ce que vit Pierre, puisqu'elle vit la même chose. Dans quel monde il ne voudrait pas exactement ça ? Elle est exactement ce dont il a besoin, elle est parfaite pour lui. Ils sont parfaits ensemble. Ensemble. Ensemble. Le mot résonne et je suis à deux doigts de m'enfuir de la salle, mais je me ravise : je me suis faite assez remarquer ces derniers jours. Je me concentre fort pour me rappeler le parfum de Pierre, la sensation que j'ai ressentie hier quand il a réussi à me calmer. J'arrive presque à sentir encore ses papouilles dans mes cheveux, sa voix dans mon oreille, et son corps sur le mien. Même en l'imaginant ça fonctionne, mon anxiété se calme légèrement, juste assez pour être supportable. Je me mets en mode zombie jusqu'à la fin de la journée, en m'assommant un peu avec les anti douleurs qui me font un peu planner, et en prétextant être un peu faible pour me réfugier régulièrement dans les bras de mes amis. Paul me porte mon sac, Isaac passe son bras autour de mes épaules, mes copines m'entourent et leurs bavardages bercent mon esprit tourmenté.

Cœur de PierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant