Le prestige

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J'ai peaufiné mon plan toute la nuit. Au petit matin, je sais exactement ce qu'il me reste à faire et je me lève avec énergie et détermination. J'ouvre mon iPad et achète une place 'prestige' dans une ville facilement accessible en transports. Puis je prends mes billets de train, et ouvre mon placard pour commencer à réfléchir à ma tenue. Je choisis un petit haut à bretelles rouge, assez classique, mais je sais que Pierre l'aime bien, parce que je le portais l'autre soir et il jouait à enrouler ses doigts dans l'ourlet.
Depuis le message de son manager, le seul et unique contact que j'ai eu avec Pierre a été un message de ma part « c'est fini entre nous » , auquel il a répondu une suite de « ??? » puis je l'ai bloqué de partout. Je pensais qu'il allait essayer de contacter mes frères, mais il ne l'a pas fait, je crois qu'il est bien trop respectueux pour court-circuiter ma décision.
Mais maintenant, mon objectif c'est de le confronter à sa trahison, une dernière fois. J'en ai besoin pour tourner la page, pour l'oublier définitivement. Puis j'avoue qu'il me manque aussi, merde ! Je fais comme un addict, je vais prendre une petite dose de lui avant de me sevrer. Je sais exactement où il est et quand il y est, alors autant en profiter.
Le jour J, j'arrive à l'heure indiquée et me glisse dans la file d'attente. Un responsable de la salle nous accueille pour assister aux balances. Un type s'approche de moi et me demande si je suis venue seule.
Je vois qu'il mate ma tenue de haut en bas d'une manière qui me met mal à l'aise.
- Non, je retrouve un ami tout à l'heure, je réponds, ce qui n'est pas totalement faux, Pierre est encore techniquement mon ami, non ?
- Dommage, je t'aurais bien tenu compagnie, me dit le gars en s'asseyant derrière moi.
Je décide de l'ignorer pour me concentrer sur ma mission : être repérée par Pierre.
Les artistes arrivent sur scène et viennent nous faire coucou. Chouette, ça va être encore plus simple que prévu ! Pierre arrive acclamé par le public, surtout qu'il est en marcel, ce qui fait son petit effet. Il commence les répètes et sa voix me transporte complètement. Je ne le lâche pas des yeux, je suis concentrée pour ne pas rater le moment où il va me voir.
Le type bizarre derrière moi frétille littéralement sur sa chaise en hurlant « Leniiiiie » toutes les 10 secondes. Il me tape sur le système mais en même temps, il doit bien attirer l'attention vers nous, puisque Pierre me repère à ce moment là. Je vois toutes les émotions passer sur son visage comme un dessin animé ! Je lui souris, parce que l'objectif c'est quand même qu'il voie ce qu'il perd. Il ne me rend pas mon sourire mais me fait un petit signe avec ses doigts. Un demi-cœur.
À la fin de la répète, je vois qu'il traîne sur scène, alors que les autres se sont éclipsés, et pendant qu'on nous fait lever pour nous rendre aux dédicaces, il me suit des yeux. Je ressens une petite once de culpabilité quand même, à venir le perturber à son travail. Mais bon, il m'a littéralement prise pour sa maîtresse, alors c'est mérité.
J'ai longtemps réfléchi à ce que je voulais faire en arrivant devant leur groupe, pour la photo. Je sais qu'il sera obligé de faire comme si de rien n'était, alors je décide d'adopter cette technique moi aussi. Le type chelou passe juste avant moi et je quitte un instant mes pensées pour l'observer demander un câlin à Lénie, qui devant son insistance a du mal à le repousser. Pierre intervient en se plaçant entre les deux et lui fait non de la tête. Je n'entends pas du tout la conversation, mais je devine Lenie glisser un « merci » à l'oreille de Pierre. Le lourdeau s'éloigne et le vigil me fait signe d'avancer. C'est mon tour. Pierre est resté en bord de ligne avec Lenie alors je me place de l'autre côté, vers Julien et Axel. La photo est prise et j'ai à peine le temps d'entendre Pierre lancer « ça fait du bien une tête connue » sur mon passage que j'ai déjà tourné les talons.
Pendant le concert, je suis vraiment très bien placée, grâce à la catégorie Prestige. Je suis dans une sorte de petit carré or, en fosse debout, juste derrière la barricade. Puisque j'ai déjà vu le show deux fois je remarque bien que Pierre se positionne différemment de d'habitude, j'ai l'impression qu'il gravite un peu autour de nous.
Vers la fin du spectacle, je sens quelqu'un s'approcher de moi. Je me tourne et reconnais le type de tout à l'heure. Il pose son coude sur mon épaule et me crie dans l'oreille « alors, il est où cet ami qui devait te rejoindre... », ce qui me glace le sang. Je n'ai même pas le temps de me dégager que j'entends un  « hey, la touche pas » qui détonne de la chanson. Pierre vient d'intervenir au micro. C'est assez discret pour ne pas perturber le show, et assez ferme pour que le type entende. Il garde son coude de force sur moi, m'empêchant de le repousser, et pointe son doigt sur lui-même, demandant une confirmation silencieuse à Pierre.
Pierre profite que ses collègues gambadent sur la scène pour s'approcher le plus près possible. Cette fois ci, il baisse son micro, mais articule  « Enlève. Tes. Mains. De. Son. Corps. » Ses yeux brillent de colère.
Le type, visiblement ravi de faire son petit effet, lui lance un grand sourire provocateur. Mais autour de moi, les gens commencent à comprendre ce qui se passe et la sécurité arrive à notre niveau en quelques secondes. Il est plaqué au sol par un agent tandis que deux bras musclés m'encerclent et m'évacuent de la fosse.

Cœur de PierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant