– Il n'y a pas de quoi en faire un plat, maman.
– Comment peux-tu dire ça, Avigaël ? C'est très grave.
Assise à la table de la cuisine depuis vingt minutes, je n'ai pas encore réussi à avaler une seule bouchée, trop occupée à me faire sermonner par ma mère. Elle m'a à peine adressé la parole hier soir, et maintenant elle ne me laisse pas en placer une.
– Je suis consternée que le coordinateur du programme ait pu admettre ça.
– Maman...
– Il aurait pu te faire du mal...
– Maman...
– Si tu crois que le Louis Tomlinson que tu as côtoyé pendant ce voyage est celui qui habitait à côté de chez nous quand tu étais petite, permets-moi de te dire que tu te trompes lourdement.
– Maman...
– Comment veux-tu que je te fasse confiance quand tu seras à huit mille kilomètres d'ici, en Espagne ? Si tu estimes que ça ne posait pas de problèmes de sillonner le Midwest avec ce garçon, Dieu sait quelles autres décisions irresponsables tu es capable de prendre.
Elle picote son blanc de poulet du bout de sa fourchette.
– Pour être honnête, quand il est parti, j'espérais que c'était pour de bon.
– Il est parti pour de bon cette fois-ci, maman, lui dis-je avec assurance. Il pensait qu'il ne serait pas le bienvenu à Paradise. Je lui ai affirmé qu'il se trompait, que les gens lui laisseraient une chance, sans le juger.
J'attrape ma serviette sur mes genoux et je la pose sur la table.
– Je faisais erreur apparemment.
– Pourquoi tu montes sur tes grands chevaux tout à coup ? riposte-t-elle en me voyant me lever et prendre mon sac. Je soupire.
– Ce n'est pas ça, maman. Je suis frustrée, c'est tout. Je t'aime très fort, mais il y a des moments où tu dois me faire confiance.
– Impossible. Pas quand il est question de Louis. Sa famille se débat toujours pour essayer de se remettre des souffrances qu'il nous a tous infligées. Toi, tu as été blessée physiquement par son imprudence stupide. Comment peux-tu encore le protéger ? Parce qu'il est beau garçon ? Il y en a des tas d'autres dans ce monde, crois-moi.
Je ne peux pas en entendre plus.
– Je reviens plus tard, dis-je en sortant de la cuisine. Avant de partir, je me retourne vers elle.
– Je t'aime, maman. Tu le sais, hein ?
– Oui. Moi aussi je t'aime.
– Alors, fais-moi confiance. Ce n'est pas parce qu'il est beau que je prends la défense de Louis. C'est parce qu'il ne mérite pas tous les tourments qu'il a endurés.
Voyant qu'elle est sur le point de m'interrompre, je lève la main.
– Il a fait une erreur, maman. On en fait tous. Ne méritons-nous pas tous une seconde chance ?
Je monte dans la Cadillac que Mme Reynolds m'a léguée dans son testament et me dirige vers sa
maison. Elle me manque tellement. C'est elle qui m'a exhortée à pardonner à Louis, et elle avait raison. Je ne voulais pas au début, mais en le voyant à son retour de prison, mon pouls s'est affolé et je me suis mise à trembler comme une feuille.
Après ça, on a parlé. Beaucoup. Et je lui ai pardonné, avant même de savoir que ce n'était pas lui qui m'avait renversée. Et je suis tombée amoureuse de lui.
Je me gare devant la maison, m'attendant à la trouver vide. Mais Lou, le fils de Mme Reynolds, et le copain de ma mère, est dans le jardin en train d'arroser la pelouse. Il y a une pancarte « À vendre ».
En me voyant, il sourit.
– Bonjour, Avigaël. Qu'est-ce qui t'amène par ici ?
– Je voulais juste voir où en étaient les jonquilles.
– Certaines sont encore en fleur. Tu sais, cela fait des mois que j'essaie de vendre. Pas un acheteur en vue. Le marché est mort dans le coin.
Il soupire. Je sais qu'il a grandi dans cette maison et qu'elle a une valeur sentimentale pour lui.
Sa mère nous a quittés, mais son esprit est toujours là.
– Où est ta maman ? ajoute-t-il.
– À la maison. Elle est fâchée contre moi parce que je ne lui ai pas dit que Louis faisait partie du programme RESTART.
– Elle m'a appelé tout à l'heure pour m'en parler. Tu veux qu'on en discute ?
– Pourquoi pas ?
Nous gagnons le jardin de derrière. Cela me fera du bien de parler avec Lou. Mon père n'a jamais fait deux pas où que ce soit avec moi. Il ne s'intéressait pas à moi et Harry, ni à ma mère d'ailleurs. J'ai longtemps prié pour qu'il revienne. Ça fait des mois qu'on ne s'est pas parlé. Il avait promis d'être là à ma remise de diplôme, mais il n'est jamais venu.
Il ne m'a même pas appelée pour me féliciter.
En apercevant les parterres de fleurs, je cesse de penser à lui. Je suis étonnée de voir les jonquilles encore en pleine floraison. Un arc-en-ciel aux couleurs vives qui me remonte le moral.
Si Mme Reynolds était encore en vie, elle adorerait. Elle m'avait donné des instructions très précises sur la façon de planter les bulbes. Tout en sachant pertinemment qu'elle ne les verrait jamais s'épanouir.
J'aimerais tant que Louis soit là pour les admirer, lui aussi. Il construisait le belvédère pendant que je plantais les jonquilles. On travaillait côte à côte pour faire plaisir à Mme Reynolds.
– Maman est furieuse que je n'aie pas renoncé à ce voyage quand j'ai su que Louis en faisait partie, dis-je à Lou.
– Reconnais qu'elle a des raisons de se méfier de lui.
– Je comprends, mais...Dans quelle mesure dois-je me confier à Lou ? S'il découvre que ce n'est pas Louis qui m'a renversée, il le dira forcément à ma mère. Et si elle l'apprend, elle fera tout pour déterminer le responsable de l'accident. À nouveau le cercle vicieux.
Je ne veux pas que ça se passe comme ça. Puisque Louis ne compte pas revenir à Paradise, inutile de causer tant de ravages.
– Ce n'est pas comme s'il allait revenir à Paradise. Il n'en a pas l'intention. Lou s'assied sur la balancelle de sa mère.
– Qu'est-ce que tu en penses ?
– Je ne sais pas très bien.
Je me tourne vers Lou. Il me fait penser à sa mère.
– On s'est beaucoup rapprochés pendant le voyage, j'ajoute. C'était sympa.
– Rapprochés ? Puis-je te demander jusqu'à quel point ?
– Probablement pas.
Je m'installe à côté de lui. Nous gardons tous les deux le silence quelques instants.
– Tu sais, si elle était là, ma mère nous ferait la leçon. Elle nous traiterait de paresseux, nous
donnerait des corvées et ne serait satisfaite que quand on aurait sué comme des bœufs.
– Je l'aimais, dis-je.
J'essaie de ne pas trop penser que je l'ai perdue, de peur d'éclater en sanglots. C'était une
femme forte. Même quand elle me faisait trimer, je continuais à l'apprécier. C'est la première personne qui ne m'ait pas traitée comme une invalide à ma sortie de l'hôpital.
– Elle t'aimait très fort aussi. Et je crois qu'elle appréciait beaucoup Louis, dit-il en esquissant un geste en direction du belvédère qu'il avait construit, seul – une tâche qu'on lui avait assignée dans le cadre des travaux d'intérêt général qu'il devait accomplir. Ma mère disait toujours que je ne devais pas garder rancune, reprend Lou. Que ça pourrit la vie.
– J'aimerais pouvoir en dire autant de la mienne.
– Tu veux que je lui en touche un mot ? J'arriverais peut-être à aplanir un peu les choses.
Je dévisage cet homme, qui est non seulement le patron de ma mère et le propriétaire du
restaurant Tante Mae, mais aussi le seul à avoir réussi à faire sourire ma maman à nouveau.
– Ce serait super.
– Elle est adorable, tu sais. Elle cherche à te protéger, c'est tout.
– Je sais.
Je chasse une poussière invisible de mon jean. Au début, je supportais très mal que Lou sorte avec ma mère. Maintenant, je lui suis reconnaissante de faire partie de sa vie. Et de la mienne.
– Je ne te l'ai jamais dit, mais maman revit depuis qu'elle sort avec toi. Elle a besoin de toi.
Ça le fait sourire. Il se racle la gorge :
– Je voulais te poser une question, mais je n'ai pas trouvé le courage de le faire avant que tu partes en voyage...
Il s'éclaircit de nouveau la voix.
– J'aimerais demander à ta maman de m'épouser. Ça t'ennuierait ?
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Retour à Paradise
FanfictionDepuis que Louis a quitté Paradise, huit mois ont passé. Avigaël a mûri; elle pense avoir tourné la page de leur histoire d'amour et a repris sa vie en mains. Mais quand le jeune homme réapparaît lors d'un camp d'été, soudain ses certitudes vacillen...