25. Louis

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Je me dirige vers ma maison, la plus grande de tout le quartier. Celle d'Avigaël a l'air naine à côté.
Je suis l'allée que mon père et moi avons pavée il y a trois ans. L'endroit me semble familier
et... totalement étranger en même temps. Je remarque que la peinture commence à s'écailler sur les garnitures en bois. L'une des gouttières s'est décrochée. Les parterres le long de la façade sont vides. Maman y plantait des fleurs chaque printemps. Elle disait qu'on se sent davantage chez soi quand tout est fleuri.
Elle avait raison.
Les yeux rivés sur la porte, j'inspire à fond.
Comment rentre-t-on chez soi quand on a fugué ?
Me traiteront-ils comme un intrus ?
J'hésite à battre en retraite, à laisser tomber. Je peux très bien rebrousser chemin et disparaître.
Personne ne saura que je suis revenu. Ce serait plus facile que d'affronter le drame sur le point d'éclater. Mais je me sentirais lâche.
Je ne suis pas un lâche.
Plus maintenant, en tout cas.
Je pose mon sac et je sonne. Mon cœur bat à cent à l'heure, comme après un marathon.
Différents scénarios quant à la réaction de mes parents et de ma sœur se succèdent dans ma tête. J'entends des pas. Est-ce ma mère, mon père, Lottie ? Je n'ai pas vraiment le temps de
m'appesantir sur la question. La porte s'ouvre. Ma sœur se tient devant moi. Ma sœur jumelle.
Celle pour qui je suis allé en prison. Elle a toujours les cheveux teints en noir, avec des racines châtains, mais sa tenue est un peu moins excentrique qu'avant mon départ. Elle porte un jean normal, sans les chaînes. Son tee-shirt est de la même couleur que sa tignasse.
La dernière fois que je l'ai vue, elle avait l'air d'une déterrée. Tout était noir, ses cheveux, ses ongles, son humeur aussi. Ça m'avait foutu la trouille et mis en rogne. J'avais fait de la prison à sa place, pour qu'elle puisse continuer à vivre tranquillement à la maison. Comment osait-elle se comporter en recluse, changer son apparence, son attitude, mener une existence de mort-vivant ? Elle n'en avait pas le droit !
Là devant moi, elle n'a plus ni ongles, ni lèvres, ni eye-liner noirs. Très nette amélioration. J'ai la gorge toute sèche. Ses yeux s'emplissent de larmes.
– Louis, croasse-t-elle. Tu es revenu.
– Pour un petit moment au moins, je réponds d'une voix étranglée.
À mon retour de prison, elle s'était jetée dans mes bras et m'avait serré fort contre elle. Pas cette fois-ci. Elle garde ses distances. Me prend-elle pour un fantôme ?

– Avigaël m'avait dit qu'elle allait te convaincre de rentrer à la maison, mais je ne l'ai pas crue.
Ses mains se raidissent de part et d'autre de son corps.
– Je n'arrive pas à croire que tu es là.
– Tu ferais bien de le croire. Bon euh, tu me laisses entrer ?
Elle ouvre la porte en grand et s'efface.
– Oui, dit-elle. Papa n'est pas là.
– Où est-il ? je demande en m'introduisant dans le vestibule.
Lottie se met à se ronger furieusement un ongle.
– Il est allé rendre visite à maman.
– Rendre visite ? Elle est dans un centre en ce moment ?
– Elle y est depuis un bout de temps. Ce n'est pas la première fois.
Je pousse un long soupir.
– D'accord. Je peux avaler ça, mais... Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ?
– Comme quoi ?
– Je ne sais pas, Lottie.
Je suis à cran, et j'ai besoin de réponses. Va-t-elle me les donner ?
– Papa assure-t-il ? Que fais-tu ces temps-ci ?
Qu'est-ce qui me prend de dire ça ? À peine de retour, je la mets déjà au pied du mur.
– Oublie que je t'ai posé la question.
Lottie ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort.
– J'ai invité un ami à venir crécher ici.
– Qui ça ?
– Il s'appelle Lenny. Si un type surgit portant un tee-shirt vert où est inscrit « Je suis ton
papa », sonne à la porte, il y a de fortes chances que ce soit lui.
Je ne pouvais pas abandonner Lenny. Il n'est pas si repoussant quand il ne s'ingénie pas à se comporter comme un connard de première.
Je récupère mon sac et je monte au premier.
– Où vas-tu ? demande Lottie, au bord de la panique.
– Dans ma chambre.
– Attends ! hurle-t-elle, mais c'est trop tard.
J'ouvre la porte de ma chambre. Ce qui était ma chambre. C'est un bureau maintenant. Pas de lit,
ni de rideaux, ni de placards remplis de vêtements. Ils se sont même débarrassés de mes trophées. Putain ! Aucun signe de moi nulle part.
En l'espace de huit mois, toute trace de ma vie a été effacée.
Rentrer au bercail est la plus grosse erreur que j'ai commise de toute mon existence.

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