Retour à Paradise

6.Avigaël

À ces mots, je me redresse et croise les bras sur ma poitrine pour l'empêcher de me mater.

– Tu es dégueulasse, je chuchote, en espérant que personne d'autre n'entende cette remarque grossière.

– Merci, répond-il.

Je me glisse sous mes couvertures en évitant son regard.

– Tu peux saigner à mort, ça m'est égal.

– Tu veux que je te rende ta serviette ? demande-t-il, redoublant d'arrogance.

Pourquoi se comporte-t-il ainsi ? À un moment, il me fait l'impression d'être lui-même, le Louis que j'ai connu autrefois, et la seconde d'après, il se donne un genre qui ne lui va pas du tout.

– Non, merci.

– Vous voulez bien arrêter de flirter, vous deux ? intervient Ariana. Soit vous admettez que vous en pincez l'un pour l'autre, soit vous allez vous coucher. Ou les deux.

– Je n'en ai rien à faire de lui.

– Ce n'était pas le cas avant, marmonne Louis depuis son lit.

– C'est de l'histoire ancienne. Je t'ai dit que j'avais tourné la page, non ?

– Dors, Avigaël, me réplique-t-il d'un ton brusque. Tu te répètes.

Je lui tourne le dos. J'insiste lourdement, il n'a pas tort. Et alors ? Pour être tout à fait honnête, je reconnais qu'en un sens, je regrette la relation qu'on a eue. Il est bien la dernière chose qu'il me faut dans la vie, et là-dessus nous sommes d'accord. Il n'a pas cessé de me chercher pour mieux me repousser. Quand, enfin, mon corps se détend et s'apprête à sombrer dans le sommeil, Ariana recommence à ronfler. Je jette un coup d'œil en direction de Louis. Il est couché sur le dos, enveloppé dans un sac de couchage, les bras croisés derrière la tête. Il est évident qu'il ne dort pas. Comme s'il avait senti mon regard posé sur lui, il se tourne vers moi. Nos lits ne sont pas très éloignés. En tendant la main, je pourrais toucher son épaule nue. Il soupire en secouant légèrement la tête avant de se détourner. Je me mets sur le dos et concentre mon attention sur les ressorts grinçants au-dessus de moi, me demandant comment j'en suis arrivée là. Quand Liam, mon kiné, m'avait appelée pour me proposer de prendre part à ce programme, j'avais vraiment pensé tenir ma chance de clore ce chapitre de ma vie. Je m'étais dit que si j'avais l'opportunité de partager mon expérience avec d'autres au lieu de refouler mes sentiments, j'arriverais enfin à me projeter vers l'avenir. J'aimerais que Louis éprouve la même chose mais, en toute franchise, je doute qu'il arrive à tourner la page tant qu'il n'aura pas admis la vérité. La vérité.

Il ignore que je sais qu'il ne m'a pas renversée. J'aimerais vraiment tout lui avouer, mais c'est impossible. Je me force à trouver le sommeil et à oublier qu'il dort à côté de moi.

Le lendemain matin, en revenant des douches par l'allée de gravier qui mène à notre cabane, je découvre Lenny qui dort comme un sonneur sur la pelouse. Il ronfle tellement fort que ça résonne dans tout le camp. Je me retiens de rire. Il rivaliserait haut la main avec Ariana. Damon attend dans la cabane.

– Quelqu'un pourrait-il me dire pourquoi Lenny dort dehors, et pas dans son lit ?

– Il avait peut-être envie de passer la nuit avec ses semblables ? répond Ariana en haussant les épaules.

Damon n'a pas l'air content.

– Ce n'est pas drôle. Il est rouge comme une tomate à cause du soleil, et couvert de piqûres de moustique. Que quelqu'un aille le réveiller. Et tout de suite.

– J'y vais, dit Louis.

– Je t'accompagne, ajoute Niall.

Quand ils reviennent tous les trois, quelques minutes plus tard, un simple coup d'œil à Lenny me laisse bouche bée. Damon a raison. Il est écarlate, couvert de coups de soleil, et a des piqûres de moustique partout sur le visage et le corps.

– Pas de commentaire, lance-t-il sur un ton menaçant, en nous désignant les uns après les autres.

– Et toi, qu'est-ce qui t'est arrivé ? demande Damon, interloqué, en montrant le sang coagulé sur la main de Louis.

– Un des lits a basculé hier soir, intervient Diane. Louis l'a rattrapé avant qu'il s'abatte sur Avigaël et moi.

Elle qui est quasi muette, on n'en revient pas qu'elle ait ouvert la bouche.

– C'est Lenny qui a fait tomber le lit, précise Ariana. Exprès.

Lenny la regarde en ricanant.

– Tu sais ce qu'on fait aux cafteurs en prison ?

– Je ne tolérerai pas les menaces, Lenny. Boucle-la. Suis-moi à l'infirmerie. Louis, aussi. Je veux qu'on examine cette main. Les autres, chargez vos bagages dans le bus et allez déjeuner. Le réfectoire se trouve dans le grand bâtiment près de la réception.

C'est une salle immense avec des rangées de tables. Au fond, des ados font la queue avec des plateaux.

– Qu'est-ce qu'il se passe entre Louis et toi ? me demande Niall alors qu'on prend nos places dans la file d'attente.

– C'est super compliqué, je réponds, hésitant à trop en révéler.

Après avoir attrapé une brique de lait, je me tourne vers Niall, qui tient son plateau en équilibre sur son unique bras.

– Tu as besoin d'aide ?

– Ça va. Je me débrouille.

J'ai vraiment de l'admiration pour lui. Il parvient à tenir son plateau bien droit tout le temps que nous choisissons nos plats. Ensuite, nous nous dirigeons vers une table libre.

– Jolie manière d'éluder la question, Avigaël.

– Je n'élude rien du tout.

Il hausse un sourcil, pas très convaincu. Ariana et Diane s'installent en face de nous. Que dire ? Dans quelle mesure puis-je me confier à Niall ? Nous sommes censés nous libérer de tout ce qu'on a sur le cœur au cours de ce voyage, ne rien garder pour nous. Caleb n'a jamais été sincère avec moi, ni avec personne d'autre d'ailleurs... et j'ai le sentiment que ça le ronge. Je refuse de me comporter de la même façon. Je me tourne résolument vers Niall.

– On est sortis ensemble, Louis et moi, après sa détention.

– Eh bé !

J'observe son visage, qui passe de la stupéfaction à la curiosité. L'accident et ses conséquences nous lient à jamais, Louis et moi, que cela nous plaise ou non. Niall ne connaît pas le fin mot de l'histoire. Même Damon, censé tout savoir sur les participants au programme RESTART, n'est pas au courant de tout.

– Pourquoi a-t-il fait de la prison ? demande Niall.

– Hmmm...

Je réfléchis une seconde, le temps de formuler ma réponse.

– Dis-lui, Avigaël, lance Louis en passant la tête entre nous deux. Vas-y. Crache le morceau.

Avant que j'aie le temps de répondre, il hurle :

– Dis-lui que je t'ai renversée alors que je conduisais en état d'ivresse.

Niall en reste bouche bée.

– Putain ! C'est vrai ?

– Absolument. Hein, Avigaël ?

Louis me regarde en plissant les yeux comme si je l'avais trahi.

– Pourquoi ne pas l'annoncer à toute la pièce pendant que tu y es ?

– Non.

– Allons, Avi' . Un peu d'audace.

– Tu plaisantes !

Il se racle la gorge.

– Attends un peu, tu vas voir.