Chapitre 17 - James

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James

Je n'ai pas avancé sur mes dessins ce week-end, alors que j'aurais dû. Mon stylo en main et ma tablette dans l'autre, j'essaye d'être efficace mais mon cerveau ne me laisse pas de répit. Je suis censé tatouer un bras entier sur le thème de la forêt dans une semaine, et la seule chose que j'ai tracée, c'est un putain de sapin.

J'ajuste mon oreiller et fronce les sourcils pour me reconcentrer. Un loup peut-être ? Ou un ours ? Un blaireau ? Un champignon ? Je ne mets jamais les pieds dans les bois, et l'inspiration n'est pas là.

Soudain, on frappe deux faibles coups à ma porte, et elle s'ouvre sans que je n'aie le temps de dire quoique ce soit. May se faufile dans l'interstice et referme discrètement derrière elle en s'appuyant sur le battant.

Elle porte un legging qui ressemble un peu à celui qu'elle a mis pour courir, et un t-shirt large. Mais la seule chose que je remarque, c'est qu'elle n'a pas de soutien-gorge.

— Je te dérange ? chuchote-t-elle inutilement.

Je vais non de la tête. Tout le monde est parti se coucher depuis une bonne heure, et si je me fis aux ronflements qui font trembler les murs, ils dorment déjà. L'isolation de cette maison est déplorable.

Son ordinateur sous le bras, elle avance timidement vers mon lit, et je me redresse, intrigué par sa visite. 

— On n'a pas eu le temps de finir notre conversation tout à l'heure, mais je voulais te dire que je ne t'en veux pas. Je t'ai fait venir dans une boîte craignos au milieu de la nuit. Alors on est quitte, non ?

— Ouais, on peut dire ça.

Elle hésite, et un moment, elle me semble prête à quitter ma chambre.

— Tu as réfléchi à ce que tu veux comme tatouage ? m'empressé-je de lui demander, inquiété par l'idée qu'elle s'en aille.

— Une hirondelle. C'est une hirondelle que j'aimerais.

— Où ça ?

— Sur une côte, je crois.

— Tu sais que c'est l'un des endroits les plus douloureux ? Ça risque de faire beaucoup pour un premier tatouage.

— Comment tu sais que c'est mon premier ?

— Les professionnels sentent ce genre de chose.

Je lui adresse un sourire taquin et elle fait un pas vers le lit, plus sereine. Note à moi-même : pour que May se détende, il suffit de détourner la conversation.

— Je pense que ça ira.

— Tu veux un style en particulier ? Réaliste ? Minimaliste ?

— C'est ton style que je veux.

Mon cerveau se met en pause à ses mots.

« C'est ton style que je veux ».

J'ajuste discrètement la couette pour être certain qu'elle dissimule correctement mon entrejambe qui a décidé de se réveiller à l'instant même où elle a prononcé ses paroles.

— D'accord, laisse-moi la semaine pour te le dessiner et viens au salon un soir, je te montrerai le croquis et on en discutera.

Elle acquiesce, me sourit, et ma tachycardie me reprend.

— Tu peux me faire attendre, tu sais ? Je sais que ton agenda est fermé pour les quatre prochains mois.

— J'ai horreur d'avoir des dettes. Plus vite ce sera fait, plus vite je retrouverais ma liberté.

Son rire cristallin résonne dans la pièce.

— Tu ne me sous-estimeras jamais plus.

— Je ne t'ai jamais sous-estimé.

C'est vrai. Je n'ai jamais pensé qu'elle n'en était pas capable. Même si je n'avais pas eu ce repas, je ne suis pas sûr que je l'aurais suivi jusqu'au bout. May est une sportive, elle a de l'énergie à revendre. Et mon truc à moi, ce n'est pas vraiment le cardio. Enfin... ça dépend dans quelle situation.

— Je me disais, me coupe-t-elle dans mes réflexions avec un signe de tête vers son ordinateur. Est-ce que ça te tente de m'expliquer pourquoi Terminator 1 est le meilleur ?

May. Avec moi. Dans mon lit. Pire idée du monde.

— Carrément, m'entends-je répondre.

Elle sautille jusqu'au lit et soulève ma couette pour se glisser en dessous, puis installe son P.C. entre nous deux.

— Ton frère nous tuerait s'il nous voyait dans le même lit.

— Alors faisons en sorte qu'il ne l'apprenne pas.

— On sait tous les deux qu'il finira par le savoir. Rien ne reste secret très longtemps dans une colocation.

— Arrête de te prendre la tête, ce n'est pas comme si on s'envoyait en l'air.

Elle rougit, remets l'une de ses boucles derrière son oreille et lance le film pour mettre un terme à la discussion.

J'ai dit qu'il était meilleur pour la faire chier, car franchement, ce film n'a rien d'éclatant. Je commente mollement les effets spéciaux, mais même moi je n'y crois pas. Je peux sentir la chaleur de May qui réchauffe mes draps, et j'ai envie de m'enfuir en courant pour ne pas céder à la tentation.

Rien que la mention de ce que nous pourrions faire, tous les deux, dans ce lit, me met dans tous mes états. J'ai l'impression d'être un puceau qui fantasme sur le fait de tripoter la capitaine des pompom girl derrière les vestiaires.

Je fais en sorte de rester calme et de me concentrer sur la jeune Sarah Conor qui vit les pires moments de son existence.

Je n'ose pas tourner les yeux vers elle, mais au bout d'un moment, le rythme de sa respiration change. Sa tête retombe sur le côté, et ses mains sont jointes près de son menton, comme si elle récitait une prière silencieuse. Elle dort.

J'éteins l'ordinateur que je pose doucement sur le sol, puis récupère ma tablette.

Je commence l'esquisse de son tatouage, beaucoup plus inspirante qu'un putain d'écureuil.

South EndOù les histoires vivent. Découvrez maintenant