Chapitre 10 - May

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May

La situation s'est légèrement améliorée.

Du moins, mes colocs semblent maintenant tolérer ma présence.

Enfin, Bull m'ignore toujours, mais il a cessé de me lancer des éclairs dès qu'il me croise. Je me méfie tout de même, car quand je le supplie de me dire son prénom, il me fusille du regard. J'ai tendance à oublier qu'il pourrait certainement me mettre K.O. d'une pichenette. Ou peut-être suis-je dans le déni ? En tout cas, j'essaye de ne pas trop y penser. Je n'y peux rien, ce mystère m'obsède. J'ai bien tenté de soudoyer Finn avec une nouvelle fournée de cookies, mais rien à fait, il préfère rire de mon ignorance. Alex aussi, et je le connais assez pour savoir qu'il ne me le dira jamais, il adore me voir enrager. Je n'ai pas encore essayé avec James, tout simplement, car on ne s'est presque pas croisé de la semaine. Il part tôt et rentre tard, il ne vole pas son succès. Et d'un certain sens, c'est mieux comme ça, je n'aime pas trop la façon dont réagit mon corps quand il est dans les parages. Ni mon cerveau, ce traître, qui a tendance à me faire perdre mes moyens.

Ses tatouages sont sexy, indéniablement. Sa carrure aussi — qui ne fantasme pas sur les hommes fermes et musclés ? Mais il y a quelque chose en plus sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt. Les regards qu'il pose sur moi peut-être ? Intenses. Appuyés. Désirables.

Il ne faut pas que je m'intéresse à lui, pour plusieurs raisons. La principale étant que je ne veux pas de mecs. Jamais.

Du sexe ? Oui. Avec lui ? Non, trop compliqué à gérer en colocation. En plus, Alex ne serait sans doute pas fan de cette idée. Des hommes, il y en a plein les rues de Boston.

Une relation sérieuse ? Non. Mon Dieu non.

J'ai vu le ravage que peuvent faire les rapports de couple durant toute ma jeunesse. La plupart des mecs de ma mère prenaient complètement le dessus sur elle. Elle perdait toute personnalité pour se calquer sur eux, sur leurs passions, sur leurs envies.

Pendant des années, ils sont devenus son obsession, au point de nous oublier, Alex et moi. Elle en changeait régulièrement, mais pourtant, le schéma était toujours le même : les premières semaines idylliques, puis une pente glissante et dangereuse sur laquelle ma mère dansait, parfois proie, parfois prédatrice. Toujours est-il qu'elle n'était plus la même. Je perdais mon repère maternel remplacé par une pâle copie de ce qu'elle était.

Je ne laisserais personne me faire changer. Jamais je n'accepterais qu'un homme puisse avoir sur moi une quelconque influence. Ou pire, que ça soit moi qui me remodèle pour lui convenir.

Mon stage à Medtech se passe à merveille, et j'essaye de rester concentrée là-dessus. Mes collègues sont sympas, Dean s'assure toujours que j'ai du travail, et j'ai pu rencontrer le Dr Sharmaa en chair et en os. Finis les visios et les appels parce que quelque chose m'échappe pour résoudre une équation : je peux enfin converser avec mon mentor en face à face, et je l'aime à la folie. C'est un vrai modèle de retenue, de calme, d'intelligence, de perspicacité et de douceur. Je voudrais qu'elle m'adopte et qu'elle me lise Science Robotics pour m'endormir. J'en suis dingue.

Justement, je me prépare pour ma première sortie à Boston. Eva m'a invité à une soirée dans un entrepôt au nord de la ville. Elle avait une place en trop, une amie qui s'est désistée, je crois. Et je bénis cette fille, car jamais je n'aurais eu les moyens de payer mon entrée.

On a bien sympathisé toutes les deux. En même temps, être les seules femmes au milieu de vingt-neuf hommes, ça rapproche. Je me rajoute une couche de mascara — c'est l'unique chose que je suis capable d'utiliser, en plus du khôl — et me regarde dans le miroir de la salle de bain de mon frère. Il est déjà parti à Cleveland avec Bull. Son combat est demain soir, mais ils y vont toujours la veille pour voir la cage, et pour que le combattant prenne ses marques. Il se prend pour son coach, ou quelque chose dans ce genre-là. Bull fait tournois sur tournois pour être repéré et rejoindre l'Ultimate Fighting Club, et il a une volonté de fer. Sa discipline me fout le cafard. Pas d'alcool, des entraînements quotidiens, et une alimentation saine (beurk !).

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