James
Quand Alexander nous a convoqués à son « audience », j'ai eu un mauvais pressentiment. Nous nous sommes réunis seulement trois fois en deux ans : la première, à ma demande, pour qu'Alex et Bull arrêtent de laisser traîner leur bordel sur toutes les surfaces de la maison. Lors de la seconde, c'était Bull, qui voulait qu'on fasse de notre bureau slash buanderie slash pièce de la honte, une salle de sport. La troisième, c'était Finn, pour nous rappeler que les consommations dans son bar n'étaient pas gratuites. Il craignait qu'on le fasse couler.
Alors au moment où je m'installe sur le canapé du minuscule salon que nous n'utilisons presque jamais, je suis sur mes gardes.
— Bon, les gars, commence Alex. Je dois vous parler d'un truc.
Il angoisse. Il fait les cent pas entre la table basse et la télévision en évitant notre regard. Pourtant, c'est l'homme le plus sûr de lui que je connaisse. Ça n'augure rien de bon.
Bull, assis à mes côtés, à l'air de s'ennuyer ferme. Ses iris d'un bleu glacial sont rivés sur la fenêtre, comme s'il songeait à la meilleure façon de préparer son prochain combat plutôt qu'à nos problèmes de colocation.
— On se connait depuis longtemps, tous les quatre. Et je vous demande ça comme un service au nom de notre amitié.
— Objection votre honneur, braille Finn en se levant du canapé.
— Je ne suis pas juge idiot, mais avocat.
— Désolé, j'ai toujours rêvé de dire ça.
Je me frotte les mains en souriant.
— Laisse le finir Finn, sinon Maître Davis va nous faire une attaque, répliqué-je.
Alex s'arrête brusquement, et pose ses poings sur ses hanches.
— Allez, terminons-en, achève-t-il en m'ignorant. Je sais qu'on est déjà à l'étroit, mais j'ai besoin que vous acceptiez que ma sœur vienne s'installer avec nous quelque temps. Elle a déniché un stage de fin d'études ici, à Boston, et c'est une opportunité de malade pour elle. Mais on est en cours d'année, toutes les résidences étudiantes sont pleines à craquer. Ça fait des semaines qu'on lui cherche un logement, mais vu ses finances et les miennes, on ne trouve rien qui n'ait pas un sol jonché de seringues ou à moins d'une heure de transport de South End.
Il m'en avait parlé brièvement. Il m'avait dit que sa sœur allait sans doute venir à Boston. Ils sont originaires de la banlieue de Philadelphie tous les deux, et leur projet commun était de se rejoindre ici dès la fin de ses études. Alex est avocat commis d'office, et contrairement à ce que sa fonction laisse penser, son salaire ne lui permet pas de louer un appartement seul, et encore moins à entretenir sa petite sœur. Tout à Boston est atrocement cher, et nous avons tous fait le choix de la colocation plutôt que d'habiter en périphérie. Il est en tout début de carrière, et même s'il est persuadé d'être le meilleur avocat que la terre puisse porter, il rame à intégrer un cabinet.
Il continue sur sa lancée, indifférent à mon visage qui se renfrogne. Il faut croire qu'il a l'habitude.
— Pour quelques semaines seulement, temporise-t-il les mains en avant en signe d'apaisement. On débarrasse le bureau et je lui déplie le canapé d'appoint. C'est tout ce qu'elle demande : un endroit pour dormir.
Cet abruti de Finn sourit. Il n'a même pas besoin de parler, je lis sur son visage ce qu'il pense. C'est le gars le plus sociable que je connaisse, il se réjouit déjà d'avoir une nouvelle personne avec qui papoter à midi.
Il faut dire qu'entre Bull, aussi taciturne que féroce, Alex, qui fait des journées de quatorze heures, et moi, qui passe la plupart de mon temps dans mon salon de tatouage ou à préparer mes croquis sur ma tablette dans ma chambre, il n'a pas vraiment l'occasion de jacasser.
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South End
RomanceMay ne rêve que d'une chose : retrouver son frère à Boston dès la fin de ses études. Alors lorsqu'une opportunité de stage s'offre à elle dans le génie biomédical, elle est confrontée à un problème de taille. Impossible de se loger dans cette ville...