Chapitre 6 - May

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May

Alex cuisine bien. Vraiment bien.

Je me suis toujours dit que s'il n'avait pas fait du droit, il serait devenu chef.

Mais je crois que ça lui rappelle trop de mauvais souvenirs.

Lorsque que nous étions enfant, notre mère passait l'essentiel de ses soirées : a) à dormir sur le canapé trop défoncé pour s'occuper de nous, b) dans un bar à essayer de séduire un nouveau mec, c) avec ledit nouveau mec, à faire comme si elle était une femme cool et irrésistible, et pas une maman à côté de la plaque avec deux gamins à charge.

La plupart du temps, on se servait un bol de céréales en guise de diner. Best repas ever.

Et puis un jour, lorsqu'il était au collège, un nutritionniste est intervenu dans son cours de biologie pour sensibiliser les jeunes aux risques de la malbouffe.

Il a paniqué en découvrant le nombre de problèmes que pouvait engendrer le sucre et les produits transformés, et depuis ce jour, il a vu notre alimentation comme une priorité. Il se débrouillait toujours pour trouver un peu d'argent pour acheter des légumes frais, et passait ses soirées à me préparer des repas équilibrés. Il me gavait de salades César ou des lasagnes maison, et j'y ai vite pris goût. Il regardait des émissions de cuisine tous les week-ends, et au fur et à mesure, il est devenu un vrai cordon bleu.

Malheureusement pour moi, il n'a jamais eu la patience de m'apprendre. Et mes facultés se limitent à faire des cookies (qu'il s'obstinait à ne pas préparer), et des crudités. Voilà l'étendue de mes talents.

Alex sert le repas, et je l'écoute distraitement discuter avec ses colocs. C'est la première fois qu'ils tiennent une conversation en ma présence, et je suis surprise de constater que Bull sait utiliser autre chose des grognements pour communiquer.

La cuisine est sans conteste la partie la plus chaleureuse de la maison. Bien que petite, on rentre facilement à quatre autour de l'îlot central en bois, et elle est bien agencée afin que tout soit à porter. Ses plans de travail en chêne posés sur de massifs meubles blancs contrastent avec la décoration industrielle. L'un des colocs a visiblement des goûts assez sûrs en matière de décoration, et il me tarde de deviner lequel.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'évite le regard de James. Je crois qu'il m'impressionne un peu avec tous ses tatouages et sa carrure de sportif. Et il doit encore m'en vouloir pour son téléphone, car il fait pareil.

Ce repas est une occasion en or de me faire apprécier. Je n'ai pas abandonné la partie, malgré l'échec cuisant de l'opération cookies. Pour mon bien et pour celui de ma nouvelle vie à Boston, il faut que la collocation se passe bien. Ils sont amis avec mon frère après tout. S'ils le supportent, lui et son arrogance de jeune premier, il n'y a pas de raison qu'ils ne se fassent pas à ma présence.

— Du coup Bull, c'est quoi ton prénom ?

Le son des fourchettes sur la céramique s'interrompt, et James et Alex me dévisagent.

Inquiète, mes yeux se posent sur lui, et quand mon regard croise le sien, la lueur dangereuse qui danse dans ses iris me file la chair de poule.

— Ça ne te regarde pas.

— C'est vrai, mais vu qu'on va vivre ensemble quelque temps, je finirais bien par le découvrir en récupérant le courrier ou lorsque que tu laisseras traîner tes papiers d'identité. Alors, autant me le dire tout de suite pour éviter les malentendus, ponctué-je ma tirade avec un sourire.

La commissure des lèvres de James se soulève, malgré ses yeux rivés sur son assiette. Bull ne s'est pas détourné, et il me lorgne comme si j'étais un moucheron qui flotte dans son verre.

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