8 - Théo

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J'arrive devant la porte et je la trouve aussitôt assise derrière la caisse. Anna est penchée sur un cahier et mordille un stylo. La cloche du battant résonne lorsque j'entre.

— Bonjour, lance-t-elle avant de relever le nez.

— Bonjour...

Il n'est même pas encore quatorze heures et je suis déjà là. T'es vraiment qu'une merde, Théo !

— Oh, Théo ?

Mon cœur rebondit quand elle prononce mon prénom. Elle est surprise ? Sans doute, puisque je n'ai pas répondu à son message. Heureuse ? Autant que moi, jamais. Je me dirige vers la réserve sans qu'elle ne dise rien de plus. Je la vois vite replonger le nez dans son cahier. Le malaise est palpable.

Une fois de plus, mon casier devient un refuge provisoire où je peux reprendre mon souffle, avant d'aller confronter mon âme à la triste réalité. Je mets ma veste dans le meuble et je referme la porte. Je suis seul dans la réserve. Anna n'a pas bougé et je me retrouve comme un con sans savoir quoi faire. Je regrette presque la présence de Marc parce qu'il ne me laisse pas le temps de réfléchir, en parlant toute la journée. Il est une bonne diversion, finalement.

Je prends mon courage à deux mains et je me pointe dans la boutique. Elle est toujours assise derrière la caisse sur le tabouret haut, elle relève la tête et me lance une œillade polie.

— Je... je ne pensais pas que tu viendrais, comme tu n'as pas répondu à mon message, dit-elle avant d'éviter mon regard.

— Je sais.

Comment ça, connard ? Dis autre chose !

— Du coup il ne reste rien à faire parce que je suis arrivée deux heures plus tôt pour gérer le maximum ce matin avant l'ouverture.

— Merde, soufflé-je en guise d'excuses rapides.

— Non, non, mais t'inquiètes pas, j'ai l'habitu...

— Désolé, je ne sais pas pourquoi j'ai pas répondu.

Elle plante ses rétines dans les miennes et ses lèvres s'étirent. J'arrête de respirer. Pourquoi j'ai lâché ça ? Mystère. Pourquoi me sourit-elle ? Même chose. Si elle ne dit rien, je vais rester là, à la regarder exister.

— Tu peux faire ce que tu v...

— Bonjour, envoie brusquement une voix alors que la clochette de la porte tinte.

Anna se détourne aussitôt et se relève de son tabouret pour saluer la cliente qui entre avec son panier en osier. Visiblement, c'est une habituée, puisqu'elle prononce le prénom de ma boss.

— Ah, bonjour, vous allez bien ?

— Très bien ! Dites-moi, je cherche une farine spéciale pour mon petit-fils, vous savez avec son intolérance au gluten.

— Justement, je pensais à vous ce matin, j'ai reçu de nouvelles marques.

Anna recule et je dois me pousser pour qu'elle puisse rejoindre le côté boutique. Elle me passe sous le nez et comme je suis un pauvre type, je reprends mon souffle et avale presque son odeur avant qu'elle ne disparaisse entre les rayons avec la dame.

Je me frotte le visage et une flopée de clients déboulent d'un coup. Anna ne revient pas alors, je m'occupe d'encaisser ceux qui arrivent un instant pour tard.

— Bonjour, me fait la bonne femme devant moi.

— B'jour.

J'attrape ses articles, les scanne en fixant le petit écran sous le comptoir. On y voit défiler les images des caméras de surveillance et je découvre Anna qui discute avec un type. Un jeune. J'aime pas.

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant