7 - Théo

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Je termine de monter les escaliers vers mon appartement. J'ai mal partout. Surmonter ma peur, remplir et vider le camion, ranger la réserve, porter ci, soulever ça. Éviter, Anna ! C'est éreintant.

Je délaisse mes affaires dans l'entrée pour aller directement sous la douche. Putain, j'en ai subi des moments chiants à vivre, mais ce que mon cœur me fait endurer en ce moment arrive haut dans la liste. Je laisse l'eau chaude effacer les regards perdus, les sourires annulés et les tentatives de complicité avortées. J'essaie de demeurer fermé à elle, mais tout ce qu'elle envoie semble se coller sur moi et ça pèse un max.

Je passe les mains dans mes cheveux puis sur mon visage. Heureusement que je ne bosse pas demain, je vais pouvoir reprendre le contrôle de mes actions pour quelques heures.

Je suis sous la couette et je ne me sens pas mieux. Il est presque trois heures du matin. Je fixe le plafond. Je suis statique, mais ça n'empêche pas mon cœur de faire n'importe quoi là-dedans. Il essaie d'aller la retrouver ? Elle doit dormir à l'heure qu'il est. Avec son mec et... Une brusque image d'elle au pieu avec Marc me saute à la gorge. Je ferme les yeux, mais ça empire, il l'embrasse dans le cou, elle est sous lui et elle gémit. Non !

Je frappe mon front plusieurs fois. Arrête de penser à ça, abruti ! Je vais devoir m'y faire, Marc se la fait. C'est sa nana, il peut ! Je me fais du mal et je n'ai pas fini, parce que Marc passe son temps à me parler d'elle. Je jure que s'il aborde le sujet de leur vie intime, je me tire en courant sans explications !

***

Le RER est animé, mais les rails sur lesquels il progresse me permettent de le prendre sans devoir y laisser des morceaux de mon âme. J'ai tellement mal dormi, je me sens lourd et ralentit. Je savais que ce trajet dans la camionnette allait me parasiter. Ma nuit s'est remplie de taule froissée mêlé de hurlement terrifié d'Anna. J'ai fini par déserter mon lit pour me vider la tête devant une série très tôt ce matin.

L'arrêt de ma destination finit par arriver, je suis le premier à quitter la rame pour fuir la gare bondée avec de la musique dans les oreilles et les mains enfoncées dans mes poches.

Rejoindre ma mère depuis le RER, c'est deux kilomètres à pied. Je les fais toujours sans broncher. En fait, j'aime bien ce trajet. À l'allée, il me permet de me détendre avant de la retrouver et au retour j'en ai besoin pour me remettre de ma visite. Comme quoi la vie est bien faite. Sauf Anna, faite pour moi, mais avec un autre. Dire que le premier jour j'ai cru que la nuit suivante allait arranger mon problème de coup de foudre... en réalité, c'est pire chaque matin. Anna est toujours là.

Lorsque j'approche des grilles, je retire mes écouteurs et les fourre dans ma poche. Ma mère dit toujours que ça fait mauvais genre de les garder quand on arrive chez les gens. Je souris. Je remonte l'allée puis je tourne à gauche sans vraiment regarder les voisins. Après quelques mètres, je m'arrête en relevant le nez.

Un type est assis sur la première marche. Enfin, si c'était une marche. L'homme pivote la tête et me reluque comme si j'étais un fantôme.

— Qu'est-ce que tu fous ici ? envoyé-je.

— Toi qu'est-ce que tu fais là ? C'est mon jour, rétorque-t-il.

Je cligne des paupières et je vise les fleurs derrière lui. Donc c'est lui qui apporte ces tulipes merdiques chaque semaine ?

— Maman a toujours détesté les tulipes.

— Faux. Elle les adorait.

— C'est moi qui suis chargé de décorer sa tombe, putain.

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant