Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)

16 - Théo

Anna baisse le nez sur ses mains et me laisse au passage dans un suspens incroyable. Elle ne peut pas commencer une phrase et s'arrête de manière si hésitante, ça risque de me faire craquer !

— Je ? interrogé-je.

— Les nanas des commerces alentour font beaucoup plus d'allées venues dans le magasin depuis que tu bosses ici, explique-t-elle avec un petit sourire.

— Ah c'est tout ? C'est nul !

— Il est déçu de plaire, c'est la meilleure !

Je me mets à rire et le silence revient. Je cogite en vitesse. C'est bizarre des gens qui admettent bien mentir quand même. C'est contradictoire, parce qu'elle l'avoue très facilement. L'honnêteté n'est pas censée être l'opposé du mensonge ? Je laisse un instant passer et une autre question me brûle les lèvres.

— Si ma copine disparaissait du jour au lendemain, je serais dans tous mes états, je ne comprends pas trop comment tu tiens bon, du coup.

Je la vois avaler sa salive. Elle hoche la tête en concentrant son regard sur ses doigts qui triture le bois abimé de la palette entre ses cuisses.

— La première fois, j'ai pleuré pendant les quatre jours. La seconde, même chose pendant six et celles d'après, j'étais moins triste. En fait sur les six dernières années, il a fait tous les ans. Alors maintenant, il me laisse sa boutique sur les bras, sa famille à gérer ? Je ne suis plus inquiète pour lui, j'ai la rage.

J'ouvre la bouche sans dire un mot. C'est le truc le plus dingue que j'ai entendu. Et j'apprends au passage qu'elle ne m'a pas dit la vérité quand je lui demandais s'il avait déjà fait ça. Théo, ouvre les yeux, même si ça fait mal !

Et pour Marc, mais qu'est-ce qu'il peut bien foutre ? Il a une double vie, ce serait trop beau, tiens !

— Mais tu m'as dit que, c'était la première fois quand je t'ai questionné.

— Tu vois, je mens super bien, juste parce que je voulais pas trop m'étendre sur le sujet avec un inconnu.

C'est une pique droit dans mon cœur !

— Je comprends. Moi aussi j'aime pas trop raconter ma vie à n'importe qui. Tu ne sais pas où il va ?

Elle secoue la tête.

— Ah, mais non. J'ai hurlé, j'ai menacé de le quitter, j'ai pleuré, rien à faire, il n'a jamais rien dit. Il s'excuse, se met à genoux à chaque fois et il recommence sans me prévenir.

— Mais pourquoi rester avec lui, putain ?

Ma question est sortie telle que je me la suis posée et je le regrette aussitôt. Anna bouge un peu sur place, mal à l'aise.

— Désolé, je...

— Ce que je raconte, ce que je pense rien n'est en accord et encore moins avec ce que je fais. J'adorerais connaître la réponse moi aussi.

Le silence revient un instant.

— Jamais facile de faire cohabiter l'amour et la raison, soufflé-je en baissant la tête.

C'est un aveu, mec ?

— C'est exactement ça...

J'acquiesce et me penche sur mon propre cas. L'amour est là et il est brûlant, mais ma raison se débat avec vigueur. Si elle reste avec lui, même avec tout ça, c'est tout simplement qu'elle l'aime. Les vérités comme celles-ci, je me les mange en plein visage.

Mon délire de la tester pour prouver qu'elle n'est pas comme ce qu'ils disent est propulsé à des années lumières. Je laisse tomber. D'ailleurs, je devrais vraiment me barrer tout de suite et commencer à essayer de l'oublier.