30 -Théo

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J'ouvre la porte de mon casier et pour la centième fois, je me planque dedans. J'ai à peine aperçu Anna au fond de la boutique quand je suis entré et ça m'a suffi pour mesurer à quel point ça va être difficile. Mon cœur ne va jamais tenir. Marc était à la caisse en train de s'occuper de clients, avec son habituel grand sourire, il m'a fait un clin d'œil, ce con.

Je le hais et j'ai de la peine pour lui en même temps. Je perds la raison, putain. Il ne fait pas exprès et je vois bien qu'il porte un masque. Que cache-t-il ? Je pose ma veste en me forçant à décrisper mes épaules.

— Non, il en reste trois, je crois. Je vais v...

La voix d'Anna s'interrompt net. Sans vérifier, je sais qu'elle vient d'emprunter le passage pour la réserve, et donc de me trouver là, à moitié dissimulé par le petit battant métallique. J'attends en apnée qu'elle avance dans mon dos, mais elle n'en fait rien. Quelques secondes plus tard, je prends mon courage à deux mains et je recule pour fermer la porte. Elle est en effet bloquée au niveau de l'entrée, la bouche ouverte et le regard suppliant. C'est aussi difficile à encaisser que ce que j'imaginais.

Marc arrive derrière elle sans me laisser le temps de trouver quoi faire pour assumer cet instant. Sa main disparait autour de sa taille et réapparait sur sa hanche opposée. Je serre les dents.

— Surprise ! dit-il tout sourire.

Il s'approche de moi dans la foulée et me fait une accolade amicale en me tapant dans le dos.

— Ah, mon pote, je suis tellement content que tu sois revenu ! Franchement, c'est pas pareil sans toi !

Je fixe Anna, qui semble aussi horrifiée que si elle voyait un fantôme. Marc ne lui a rien dit. Il se redresse en entendant du monde entrer du côté boutique.

— Le devoir m'appelle. Mon amour, vous n'avez qu'à vous en occuper tous les deux des trois derniers cartons ! lance-t-il en se barrant.

On reste, elle et moi, à se regarder en silence. Je finis par détourner les yeux. Le lien qui nous connecte, cet amour dévorant et interdit, c'est comme un fardeau et chacun doit porter sa part à présent. Je le vois que c'est aussi douloureux pour elle que pour moi. Elle s'éclaircit la voix et semble remettre son corps en route. Je la laisse me dépasser. C'est avec une pointe dans la poitrine que je la rejoins dans la réserve.

— Je... je suis en train de remplir les rayons de...

Elle s'interrompt. Les feuilles qu'elle tient sont secouées de légers tremblements.

— Je ne suis pas ici pour toi.

Elle hoche aussitôt la tête. Le silence revient, elle va attraper un carton et me repasse devant. Elle disparait à peine de mon champ de vision qu'elle dit en s'arrêtant :

— J'ai tout dit à Marc. Tout ce qu'on a fait pendant son absence. J'ai préféré être honnête avant que ses frères s'en chargent et qu'ils te fassent passer pour la personne que tu n'es pas.

Je fronce aussitôt les sourcils en me tournant vers elle.

— Je lui ai aussi avoué que j'ai voulu t'embrasser.

Je tique dans la seconde.

— C'était quand ? questionné-je.

Elle parvient à croiser mon regard.

— Quand ?

— Tu lui as dit ça quand ?

— Le soir de notre anniversaire. Quand je suis rentrée, il m'attendait devant la porte...

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant