29 - Théo

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Ma main se crispe sur la poignée. Marc est chez moi ? Pourquoi il vient jusqu'ici ? Il frappe à nouveau contre le battant.

— Je suis là pour m'excuser ! Je suis désolé pour hier. J'ai tenté de te joindre toute la nuit, mais je tombe sur la messagerie ! Je m'inquiète !

Je reste derrière la porte sans bouger. Si j'ouvre, le l'éclate et j'ai déjà assez d'emmerdes. Je suis trop mal pour subir une conversation avec lui.

— Anna m'a dit que tu l'avais conduite ici et je...

Quoi ? De quoi lui a-t-elle parlé au juste ? Mon souffle se fait plus court. Du coup, il vient me coller une raclée ?

— Je comprends que tu refuses de me voir, continu-t-il de l'autre côté de la porte. En fait, je me souviens pas vraiment d'hier, je sais pas trop ce que je t'ai fait, mais Anna m'a dit que tu avais assuré. Théo, ouvre s'il te plaît.

Je serre les dents en fermant les yeux. Quand la vie décide de remuer le couteau dans la plaie...

— Ouvre, s'il te plaît, qu'on en parle. Faut pas que tu démissionnes à cause de moi. Je suis qu'un connard. T'y es pour rien, Anna a raison.

Silence.

— J'augmente ta paie, Théo s'il te plaît !

L'argent. Non, putain je ne peux pas y retourner pour le fric. Et puis j'ai un autre boulot. C'est ce que je vais lui balancer à la tronche. Je soupire, je me concentre plusieurs secondes supplémentaires et j'ouvre la porte, à mes risques et périls. Marc relève le nez avec un sourire. C'est le Marc que je connais, pas du tout celui d'hier.

— Salut, mon pote, fait-il.

Je ne dis rien et il pince les lèvres.

— J'ai un nouveau boulot, annoncé-je.

Il grimace en dodelinant la tête.

— Je...

Il souffle, se frotte le visage et avant que j'ai le temps de percuter, il me prend dans ses bras. Mais sérieux ? Je le repousse.

— J'ai failli la perdre ! Je te dois tout maintenant, je ne peux pas te laisser dans la merde parce que...

Est-ce qu'il comprend ce que je dis ? J'entends du bruit dans les escaliers, la voisine du dessus ? Je tire Marc à l'intérieur pour fermer la porte dans son dos. Le mec d'Anna s'affale sur mon canapé. Je hais cette image. Il massacre celle d'hier que je voulais conserver intacte.

— Hier ç'a été... horrible, dit-il en attrapant l'écharpe que je n'ai pas touchée. Je ne la mérite pas, toi non plus je ne te mérite pas ! Elle m'a expliqué comment tu as géré. T'aurais eu le droit de m'éclater, mais tu l'as pas fait et en plus tu l'as gardé avec toi après au cas où. Merci, Théo, sans toi, je serais au fond du trou.

Quelle ironie, maintenant c'est moi qui suis plus bas que terre.

— Tu dis rien ?

Mon regard quitte ma maquette et je le fixe. Je m'imagine avancer et enfoncer mes poings dans sa tronche jusqu'à ce qu'il arrête d'être lui.

— Tu veux que je te dise quoi au juste ? Que t'es un enfoiré ? Que si je te revois t'en prendre à elle, tu te réveilleras dans un lit à l'hosto ? Tu peux mesurer à quel point t'es une merde sans moi.

Il me fixe sans bouger. Si seulement tout cela avait vraiment jailli d'entre mes lèvres, mais je suis muet depuis sa dernière question. J'avale ma salive. Marc n'est pas un enfoiré. Ni une merde. C'est un type qui dérape soudainement. Peut-être parce qu'il voit aussi le coup de foudre. Peut-être qu'il tente de garder la face, comme moi. Marc est juste un mec qui...

— Tu as besoin d'aide, je crois.

Cette fois les mots sont sortis sans que je les anticipe, il semble se les manger en plein visage. Il change même de couleur. Mais contre toute attente, au lieu de se jeter sur moi ou de tout détruire comme il l'a fait hier dans le bureau, il hoche la tête et fixe ses mains.

— Oui, je sais... je vais faire ce qu'il faut pour régler ça. Mais j'ai besoin de toi en attendant.

Quoi ? Je n'ai pas dit ça pour être celui qui allait l'aider, j'ai déjà trop donné dans ce merdier !

— Si je craque à nouveau, contre elle, tu dois être là !

Bordel de merde ! Le silence retombe. Je pose mon cul sur le tabouret haut du bar de ma cuisine. Est-ce qu'il me demande de la protéger de lui ?

— En fait, pour être tout à fait honnête Anna ne veut pas que tu reviennes.

Coup au cœur.

— Elle dit qu'on avait déjà pas à te faire subir ça, tu as trop de talent pour bosser chez nous. Elle a raison. C'est pas la femme de ma vie pour rien, elle a toujours raison ! conclut-il avec un rire nerveux. Alors je te le demande d'homme à homme, reste encore un peu, j'ai besoin d'un peu de temps. Juste pour elle. S'il te plaît.

Non ! Va te faire foutre, j'arrête de souffrir !

Voilà ce que j'aurais dû répondre, mais rien ne vient. Marc se lève avant que je trouve comment réagir et enchaine :

— Je te laisse réfléchir.

Ça part dans tous les sens dans ma tête. Il ne m'a pas parlé du tout du moment où il casse tout chez eux aussi, il se dirige vers la porte, avec l'écharpe dans la main.

— Et je fais comment pour la protéger de toi quand vous êtes dans votre lit ?

Il s'arrête net, sans se retourner. Prononcer ces mots me laboure le bide.

— Je ne dors plus avec elle, depuis des semaines.

Quoi ?

— Elle n'était pas dans la pièce quand j'ai... pour la salle de bain. Enfin, je crois.

Il se casse en me laissant planté au milieu de mon salon.

Je prends conscience du présent quand la sonnerie de mon portable résonne à peine quelques secondes plus tard. Je vais regarder l'écran. C'est le cabinet d'architecture où j'aurais dû me rendre ce matin. Je ne suis plus à une chute près, alors je décroche.

— Théo, prononce aussitôt la femme avec qui j'ai eu l'entretien. Je vous donne une chance et vous ne venez pas. Je vous en accorde une seconde et vous répondez au téléphone avec deux heures de retard.

— Je suis désolé, j'ai eu un...

— Vous comprendrez que cela ne va pas être possible ?

Je ne dis rien parce que je n'y arrive pas. Mes mâchoires sont crispées.

— J'aurais dû écouter le doyen de l'école qui vous a viré, vous êtes trop impulsif pour faire ce métier.

— C'est ça.

— C'est dommage, vous avez du talent. Mais ça ne fait pas tout. Bonne continuation, Théo.

Elle raccroche et je ferme les yeux. J'ai essayé, vraiment, mais c'est impossible d'avancer quand on a toujours un pied coincé en arrière.

Soudain j'ai la vision du corps d'Anna contre le mien dans ce bureau, tremblant de peur. La douleur dans ma poitrine est pointue, sans fin. Et si j'apprends qu'il a recommencé sans que j'aie été là pour le retenir, ce sera pire encore. J'abdique face à mon cœur qui sait choisir les bons arguments. J'y retourne.

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant