1 - Théo

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Tu sais quoi mec ? Ça t'apprendra ! Je rumine en remontant cette rue parisienne à grands pas. Ma destination apparait, j'accélère avec les mains enfoncées dans mes poches.

Cette épicerie est le seul endroit que je connaisse encore ouvert à plus de minuit et pas trop loin de là où je vis. Étrange pour un magasin bio, mais tant mieux pour moi, parce que j'ai cruellement besoin d'une bouteille pour faire passer cette rupture. Et je ne parle pas de la relation avec la prof, mais bien de la suppression de ma bourse et donc de l'arrêt net et définitif de mes études dans cette école d'architecture.

En attendant qu'une commission décide de la sanction, je suis exclu. Quoi qu'ils choisissent, je ne pourrais pas remettre les pieds dans cet endroit et encore moins obtenir le diplôme pour lequel je travaille depuis trois ans. Le directeur l'a certifié en beuglant avec la salive aux lèvres. Je n'aurais peut-être pas dû le rejoindre dans son bureau ce jour-là, finalement.

J'ai vite compris que ce n'était plus une question d'éthique, mais de fierté et d'égo mal placé. Je me tapais sa femme sans le savoir. Si elle me l'avait appris, j'aurais continué de me branler tout seul sous la douche. Dire que j'ai couru derrière cette fac pendant des mois. Comment j'ai pu être aussi con ?

Je pousse la porte de l'épicerie et je tombe aussitôt sur le boss, Marc. C'est ce qui est écrit sur le badge fixé au gilet sans manches vert foncé, qu'il revêt. Il relève le nez sur moi avec un large sourire. Chaque fois que je viens, ce type affiche toujours la même bonne humeur, comment il fait ? Un peu plus petit que moi, il doit avoir passé les trente ans, lui. Ses fringues sont plutôt branchées et il porte bien ses cheveux clairs mi-longs. Il a l'air cool et sans prise de tête.

— Oh, bonsoir, un vin blanc encore une fois ? J'ai reçu un super bio, je pense que vous all...

Eh merde, il se souvient de moi ?

— B'soir, une seule bouteille, s'il vous plait, coupé-je avant qu'il n'aille plus loin.

Son sourire s'évade et il pince les lèvres. Moi, je regarde ailleurs.

— Ah, OK. Aucun problème.

Il tourne les talons et disparait un instant avant de revenir pour déposer la boisson devant moi. J'enfonce ma main dans la poche de ma veste et c'est sur la carte de la fac que je tombe. Mon portefeuille se trouve dans l'autre. Douloureuse, piqure de rappel ! Je règle et j'attrape mon achat sans récupérer le ticket.

— Vous m'en direz des nouvelles, fait le vendeur avec ce grand sourire.

— Merci, mais je ne vais pas prendre le temps de le savourer, désolé, avoué-je en tournant les talons.

— Ah merde, buvez-le aussi vite que nécessaire alors, parce que ça n'a pas l'air d'aller...

— Mmh, merci, bonne soirée.

Je tire sur la poignée de la porte et la clochette, fixée en haut du chambranle, tinte.

— On peut toujours échanger avec un truc plus fort, si vous voulez, propose-t-il dans mon dos.

Je tourne sur moi-même pour lui lancer un regard poli. Je n'arrive pas à m'obliger à être sociable ce soir. J'ai besoin d'oublier tout ce qui s'écroule dans ma vie avant d'affronter la réalité et de trouver comment retomber sur mes pieds.

— Ou sinon on peut discuter ? C'est toujours mieux que de se mettre à l'envers ? ajoute-t-il.

— Euh...

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant