11 - Théo

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Je fais machine arrière pour rejoindre la réserve avec les nerfs à vif. C'est fou comme ils parviennent à me faire perdre mon calme en deux secondes !

— Ça va où ça ? me demande celui qui m'a filé un coup d'épaule.

Je pose ma cargaison sans réagir et l'autre se pointe, les bras tout aussi chargés.

— Oh, réponds !

Je me redresse et me tourne dans sa direction. Il fronce les sourcils.

— Il sert à rien ton employé !

Anna arrive dans mon champ de vision et le regard qu'elle me lance est clair : laisse tomber. Je ferme les yeux très brièvement avant de me casser vers la fourgonnette.

— Sérieusement, tu devrais le virer !

— C'est Marc qui a voulu l'embaucher, je ne prendrais aucune décision sans lui. Et il s'appelle Théo, faites un effort, il bosse très bien !

Je n'entends pas les réponses, je suis dehors. Je remplis mes bras et j'enchaine ensuite les allers-retours en ignorant tout le monde. Rien ne me convient dans son explication. « Il bosse très bien ». Si c'est tout ce qu'elle peut dire de moi, c'est nul. « C'est Marc qui a voulu ». Elle était contre, alors ?

En vingt minutes, le fourgon est déchargé, un des deux cons se casse avec et moi je range la réserve pendant qu'Anna s'occupe des clients. L'autre reste avec moi.

— Et t'as quel âge toi ? questionne-t-il après un moment.

— Vingt-cinq.

— T'es jeune dis donc. Pourquoi tu bosses ici ? T'as pas fait d'études ?

— Si, j'ai un master, réponds-je simplement.

Je le sens s'arrêter dans mon angle mort.

— Ah bon ? Mais en quoi ?

— Architecture.

— Quand même, mais qu'est-ce que tu fais dans ce magasin, alors ?

Je hausse les épaules en déplaçant des cagettes d'aubergines. Pourquoi suis-je là ? La seule justification qui me vient est : Anna.

— Je dois payer mon loyer, comme tout le monde.

— C'est ça, à d'autres, tu dois vivre chez tes parents et profiter à fond du confort, comme tous les gamins de ton âge !

Je me redresse en tournant doucement vers lui. Je ne sais pas ce qui me prend, peut-être le fait que justement je n'ai pas pu aller voir ma mère cette semaine ? Ou le ton qu'il emploie pour me rabaisser ? Mais ma bouche s'ouvre dans sa direction.

— C'est quoi ton putain de problème ? balancé-je.

Il se fige. Son visage affiche un air surpris en premier puis je suis presque sûr que c'est de la colère.

— Tu cherches quoi au juste ? ajouté-je. Ton frère et toi vous me cassez les couilles depuis le début, je vous ai fait quoi ?

Il me fusille du regard. Visiblement, ça ne lui plaît pas que je l'ouvre.

— Tu me parles sur un autre ton, gamin. Ta maman ne serait pas contente de t'entendre d'adresser à un adulte de cette manière, articule-t-il.

Il se fout de ma gueule ? J'en lâche un rire anxieux.

— Ma mère n'en a rien à battre de mon bla-bla depuis sa place au cimetière, répliqué-je.

Il me fixe avec la bouche un peu ouverte et les sourcils froncés. Je suis trop énervé pour analyser ce qui se passe en lui. Je secoue la tête et je tourne les talons pour attraper la cagette balancée là un instant plus tôt.

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant