26 - Théo

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Mardi matin. J'observe ma tête dans le miroir de la salle de bain et je souffle.

— Théo. Tu y vas. Tu prends tes affaires, tu signes le papier et tu te casses. Sans croiser son regard.

Le silence revient et je hausse les sourcils, je cherche à convaincre qui ? La baignoire ? Je tourne les talons avec la boule au ventre. Un aller-retour et demain, je débute mon nouveau job. Rien de compliqué. Ensuite, je commence à essayer d'enterrer tout ça. De l'oublier elle.

Le trajet à pied ne m'est d'aucun secours et je me retrouve déjà dans le quartier du Markette. Je n'ai jamais répondu à Anna, elle ne va donc pas s'attendre à ma venue et je n'assume pas vraiment. Je ne voulais pas l'ignorer. Mais j'ai fini par avoir un blocage. Ne rien renvoyer ou lui ouvrir mon cœur, pour de bon, j'ai choisi.

Quand la boutique est en vue, mes mains tremblotent comme si j'allais jouer ma vie. Je m'arrête à la limite de la vitrine pour me concentrer. D'accord. Peut-être qu'elle n'est pas là, après tout. Peut-être que je vais tomber sur les deux frères de Marc aussi. Tout est envisageable. Je ne vais pas forcément dégringoler sur son regard en entrant. Je fais circuler l'air en moi et j'y vais.

Je pousse la porte et bien heureusement, pas d'Anna derrière le comptoir. Pas de visage qui s'éclaire de joie ou d'autre chose de plus douloureux. Tu vois mec, rien ne se déroule suivant ton scénario. D'ailleurs aucun client, ni de Marc non plus. Juste la musique de la radio. Je passe la limite de la caisse pour rejoindre le meuble bleu. Je distingue de la lumière dans le bureau, elle doit y être alors je ne regarde pas. Je me planque dans mon casier où une feuille pliée en deux a été déposée. C'est la lettre de rupture de contrat. Je serre les dents. Je n'ai pas de stylo, je vais devoir aller en chercher un dans la pièce derrière moi. Allez, Théo, retourne-toi et trouve un st...

— Répète, bordel de merde ! rugit brusquement une voix dans mon dos.

Je sursaute, lâche tout et fais volte-face d'un bond pour découvrir Marc, si proche d'Anna qu'elle est plaquée d'elle-même contre le mur du fond du bureau. Qu'est-ce qu'il...

— T'as dit quoi ! ajoute-t-il avant d'enfoncer son poing dans le placo juste à côté de sa tête.

Anna crie de peur en se protégeant faiblement, je me prends un tsunami d'adrénaline qui me précipite dans la petite pièce en une seconde. Mais qu'est-ce qu'il fout ? Il est malade !

— T'as dit que j'étais cinglé ? articule-t-il avec rage tout près de son visage lorsque j'arrive sur eux.

— Je suis désolée, pleure Anna. C'est sorti tout seul et...

— Ferme.ta.gueule ! Tu fermes ta gueule !

Bordel de merde ! Calme-toi, Théo, ne l'agresse pas, il a l'air hors de contrôle.

— Marc ? dis-je en le dépassant.

Anna ne détourne pas le regard. Elle le fixe, terrorisée. Lui se crispe quand j'apparais dans son angle mort, mais ne se décolle pas d'elle. Son dos remue sous le coup de sa respiration erratique.

— Qu'est-ce que tu fais ? ajouté-je en approchant assez pour me caler entre eux.

Il ne bouge pas. Je vois qu'elle a les paumes sur son torse à lui, pour l'empêcher d'avancer plus. Ses bras sont pliés contre elle. Cette image fait écho en moi avec une violence rare. Ma mère seule, face à mon père complètement bourré.

Je pose ma main sur l'épaule de Marc.

— Mec, recule un peu s'il te plaît, dis-je très calmement.

Le Rêve d'un Autre (Bêta lecture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant