« Tu as une famille ? »
Mes sourcils se froncent automatiquement, la bouche rendue sèche par la soudaine question du jeune garçon en face de moi. Alors qu'il a à peine pris le temps de respirer entre deux bouchées depuis que je l'ai invité sous mon toit, je commence à regretter de l'avoir accueilli en premier lieu.
Même si cet immeuble miteux ne tient debout que par je-ne-sais quel miracle, c'est un semblant de mon chez-moi, jusqu'à ce que Luke l'envahisse.
Je ravale ma surprise, gênée par l'intensité de son regard. S'il se rend compte de mon malaise, il s'en fiche bien. Il continue de me fixer par-dessus le bol du peu de nourriture que j'ai pu lui offrir après avoir entendu une énième fois son ventre gargouiller. Luke ne se veut pas indiscret, simplement curieux.
« Respire entre deux, je change de sujet pour éviter de lui répondre, lui adressant un rictus qui étire douloureusement mes joues. »
Je n'ai plus l'habitude de sourire à qui que ce soit, ni que l'on me demande de parler de moi. Me dévisageant toujours droit dans les yeux, il repose entre nous son bol vide jusqu'à la dernière goutte. Ses pommettes creusent disent d'elles-mêmes qu'il n'est toujours pas assez rassasié.
Je suis encore impressionnée qu'il est réussi à survivre aussi longtemps dehors avec son allure fluette et sa terrible sous-alimentation.
« D'où viens-tu ? »
Pas que je m'en soucis vraiment, c'est juste que le silence inconfortable entre nous est une chose que je ne peux pas supporter. Voilà pourquoi, quand je ne leur fais pas les poches, je préfère en général éviter les gens à tout prix.
« D'où je viens ? Répète le garçon d'un air incrédule, comme s'il ne s'était jamais posé la question lui-même. Euh...des poubelles ?
- Ce qui explique l'odeur.
- Tu ne sembles pas sortir d'un conte de fée, toi non plus. »
Si tu savais. Je roule des yeux, lui montrant clairement mon agacement, mais suis prise de court lorsqu'il incline la tête avec inquiétude. Il craint que je ne change d'avis et lui dise de partir, parce qu'il aurait dit quelque chose de travers. Moi, je n'ai pas encore décidé si je voulais vraiment qu'il reste.
« Mes parents m'ont échangé contre de l'argent, dit-il alors. Ils m'ont dit que j'allais travailler comme serveur dans une taverne, j'étais heureux de pouvoir enfin les aider. Mais, au final, ils ne sont pas revenus me chercher. Peu de temps après, le tavernier m'a mis à la porte parce que, eh bien, qui s'encombrerait d'une bouche en trop à nourrir ? »
Sa voix crache l'amertume comme du poison. Je m'attends à ce qu'il pleure, parce que c'est ce que ferait un garçon de son âge dans une situation pareille. Mais il n'en fait rien.
À la place, il sert les poings de colère. Je me retiens de lui dire que ça ne sert à rien de s'acharner, même si c'est injuste, c'est comme ça. Et puis c'est tout. Il y a plus d'un parent qui se débarrasse de leur enfant, ceux-là ne devraient pas en avoir du tout. Je soupire. Au moins, je ne suis pas la seule à ne pas être voulue.
« Tu n'as pas répondu à ma question. »
J'étouffe un autre juron, ce qui le fait hausser les sourcils car il n'a sans doute jamais entendu pareille injure. Ce garçon est décidemment bien têtu. Je m'assoie sur mes genoux et, tout en remplissant son bol vide, je lui avoue la vérité que j'ai fini par accepter.
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The Price of Freedom
Science Fiction- liberté ; état de quelqu'un qui n'est pas soumis à un maître La guerre, les explosions, la mort. C'est ce qui compose la vie d'Annabelle, une jeune fille qui tente désespérément de se libérer des chaines du passé. Tout autour d'elle ne cesse de...