|26| Couper le cordon

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Depuis aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours prêté un soin particulier à l'image que je renvoyais. Pas par choix, mais parce que c'était ce qu'on attendait de moi. Ma mère veillait à ce que je sorte de la maison avec le coin des lèvres propre et lissait toujours les plis de ma robe, même en savant pertinemment que je m'empresserai de la refroisser lors de mes escapades.

« Tu dois être présentable si tu es vue, mais n'accepte jamais aucune critique de ceux qui te verront, me disait-elle. »

Dans le fond, cela revient au-même. Je pavanais aux côtés de ma mère, afin d'honorer le nom de mes grands-parents et de leurs grands-parents avant eux. Je n'avais pas à rechigner, ni mon mot à dire, sinon j'aurais été prise pour une petite fille gâtée.

Cependant, alors que je m'accroche encore un dernier filin qui me relit à la vie, je ne peux que me répéter que tout cet apparat n'a plus aucune importance. Je ne rassemble ni plus ni moins qu'à un animal enragé au bord de l'implosion.

Les cris fusent. Le martèlement des bottes, les flashs des explosions, les bips permanant et agaçant de mes signes vitaux sur les appareils. Mon esprit et mon corps sont isolés l'un de l'autre.

Je suis emportée sur un charriot de fer à travers de longs couloirs carrelés que je ne reconnais pas. J'espère intérieurement que les geôles du Centre sont loins derrière moi. J'entends mon nom être appelé mais je ne discerne pas la suite.

Clove qui se penche au-dessus de moi, d'abord vague, devient peu à peu plus net. En un échange de regard, elle m'ordonne de rester en vie. Je ne résiste pas plus longtemps et m'abandonne dans l'inconscient.

+++

                Je descends les marches de l'escalier une à une, avec autant d'agilité et de discrétion que possible. À travers les barreaux, j'aperçois ma mère, de dos, assise dans un des confortables fauteuils en cuir au coin du feu. Je serre mon ours en peluche tout près de mon cœur battant et me laisse lentement glisser au pied des marches.

« Annabelle ? Pourquoi es-tu encore debout à cette heure si tardive ? Me surprend ma mère. »

Les ombres projetées par la cheminée révèlent des traces de larmes sur ses joues pâles. Elle s'empresse de les effacer d'un revers de la main. Je comprends que je n'aurais pas dû me trouver là.

« J'ai peur de m'endormir, je lui avoue d'une petite voix hésitante. »

Pendant un instant, je crois qu'elle va me renvoyer dans ma chambre. À ma grande surprise, elle me sourit et m'invite finalement à la rejoindre.

« Viens. Je vais te border. »

Je me dépêche de grimper sur ses genoux avant qu'elle ne change d'avis. Je fais aussi une place à mon ours pour l'installer confortablement. La chaleur des flammes et l'odeur de ma mère m'enveloppent dans un doux cocon. Je me sens en sécurité. Elle commence à me bercer doucement et me peigne les cheveux entre ses doigts.

« Pourquoi tu es triste maman ? »

Elle s'interrompt un moment, surprise par ma question et se perd dans la contemplation du brasier dansant. Je l'observe en silence avec impatience, de mes grands yeux curieux.

« Il y a quelques années à cette date, je suis tombée amoureuse d'un garçon.

- Oh...Il a été méchant avec toi, ce garçon ?

- C'était moi la méchante. Je lui ai brisé le cœur.

- Alors, pourquoi tu pleures ?

- Parce que je l'aimais mais j'avais peur. Et maintenant, je l'ai perdu à jamais mais la peur persiste. Tout aurait été beaucoup plus simple sans lui. »

The Price of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant