The Price of Freedom

|38| Dans l'œil de Jo

Je comprends tout de suite que je suis en train de rêver. Je me suis habituée à ne pas trouver le repos si facilement, à ne plus attendre de sommeil lourd pour reprendre des forces. Ce sont mes rêves qui me font redouter l'arrivée de la nuit. Lorsque d'autres peuvent les trouver féeriques, les miens me rongent jusqu'à l'os. Surtout ceux où je ne sais pas à quoi m'attendre, ni ce qui m'a fait plonger dedans. Comme celui-là.

Un râle se diffuse autour de moi, me faisant frémir de tout mon être. Je ferme automatiquement les yeux en l'entendant, bien que je n'espère plus me réveiller maintenant. Ce n'est que le début.

En les réouvrant, j'ancre mes talons dans le sol pour ne pas vaciller. Comme dans chacun de mes rêves, je reconnais sans difficultés où je me trouve. Pas encore. Évidemment que le couloir m'est familier. J'en ai traversé des similaires en craignant pour ma vie et celles des enfants que je tenais par la main.

J'aurais voulu que ce rêve en soit un autre, tandis que j'anticipe déjà ce qui va suivre avec une lassitude qui pompe d'elle-même mon énergie. Un autre souvenir, pourquoi pas de mon enfance avec Rose, qui ne m'aurait pas rendu aussi terrifiée que je le suis maintenant.

J'avance, je n'ai pas le choix. Mes jambes agissent toutes seules. Je ne contrôle plus rien, puisque ce rêve ne laisse pas à mon cerveau le plaisir d'être celui aux commandes. Les ombres dansent, libres dans leur environnement naturel qu'est l'obscurité. Les lumières ayant cessée de clignoter depuis longtemps.

Comme lorsque je l'ai vécu, une porte me barre la route. Elle ne suffit pas pour m'arrêter. Alors, bien que tous mes systèmes nerveux me hurlent de m'écarter, bien que je ne cherche pas du tout à aller plus loin, je ne suis plus celle qui commande à ma main de se poser sur la porte.

À plat sur le métal froid, j'observe avec inquiétude les filaments de mes doigts onduler. Comme des tentacules. Elles provoquent une sensation différente dans ma poitrine. L'intime conviction que ce qu'il y a derrière cette porte relève de tout ce que j'ai depuis toujours désiré. Qu'en l'ouvrant, je me sentirai enfin libérée.

Cette promesse enivrante me fait penser que ce rêve n'est peut-être pas si terrible en fin de compte. J'y crois pendant un court instant. Mais je ne me suis jamais autant trompée. Pas besoin de tendre l'oreille pour percevoir, de l'autre côté de la palissade, le rugissement d'un monstre.

Et tout d'un coup, je ne veux absolument pas que la porte s'ouvre. Car je sais très bien ce qui se cache derrière. J'attrape mon poignet pour décoller ma main que le métal semble avaler, cherchant désespérément à empêcher les tentacules de grandir.

Elles s'accrochent à l'embrasure de la porte et tentent de la faire coulisser, alors que je me débats férocement. Je ne peux pas revoir ça. Je ne le supporterai pas. Je veux me réveiller. Tout de suite. Les tentacules tordent la palissade pour se frayer un chemin et rejoindre celui qui les attire jusqu'à lui.

Je suis tétanisée en croisant son regard dans l'embrasure qui continuent de s'élargir. Le voilà enchainé à même le sol, sa taille imposante rendu inconfortable par l'espace étriqué dans lequel il est confiné. Lorsqu'il me remarque, il devient plus fou encore, sa gueule béante claquant successivement des mâchoires, ses narines frémissant d'un air menaçant.

Je le vois se contorsionner pour se libérer, handicapé par ses pattes dont les griffes cisaillent le carrelage comme si ce n'était qu'une simple feuille de papier. Au moment où les chaines cèdent et que je me dis que c'est la première fois que je me verrai mourir en rêve, le monstre est emporté par son élan et disparaît dans un nuage de fumée.

L'instant d'après, j'ai pris sa place. Le tonnerre gronde aux fenêtres. Je remarque des traces de piqures sur mes bras d'une maigreur maladive. La fièvre s'intensifie. Ma tête pèse une tonne. Le cœur au bord des lèvres, je vomis. J'ai l'impression de brûler de l'intérieur.