|11| Quelque chose de spécial

13 3 6
                                    

     Je me réveille la nuque trempée de sueur, avec l'impression de sortir d'un profond coma, comme si mon cerveau s'était remis en marche après un long moment de pause. Un très long moment. C'est étrange. C'est comme flotter dans les profondeurs d'une eau trouble, coupée de tout, sans aucun bruit, le corps inerte, jusqu'à émerger des flots avec la sensation de renaître.

     Quelque chose a changé. Je le sens au fond de moi mais je ne saurai dire quoi.

     Des flashs de mon rêve se rejouent en boucle dans mon esprit, comme si quelqu'un s'amusait à appuyer sur la touche replay. Je me raidis. Je passe une main tremblante sur mes poignets. Le métal froid. Le goût de fer dans la bouche. L'écrasement dans ma poitrine. Je ressens tout.

     Ce n'est pas possible, n'est-ce pas ? Ce n'est qu'un rêve, pourtant toutes ces sensations paraissent si réelles. Il ne m'est pas étranger. Je l'ai déjà fait. Dans une autre vie, à une autre époque. Déjà il y a cinq ans, je me réveillais souvent couverte de sueur, tourmentée par des cauchemars qui se répétaient chaque nuit dans ma tête.

     Le matin du bombardement, je m'étais enfuie sur le toit du clocher de mon village, espérant que le vent effacerait mes soucis. Je ne pouvais pas deviner que ces cauchemars reviendraient me hanter des années plus tard.

     Je m'assoie sur le bord de mon lit, la tête entre les mains, essayant de chasser les images de ma nuit. Les étoiles brillent toujours au-dessus de moi, mais cette fois, elles me donnent le tournis. J'imagine le plafond s'écraser sur moi.

     Je me redresse. Il faut que je sorte d'ici. Je tire un pantalon au hasard de mon armoire, l'enfile à la va-vite et sors précipitamment de ma chambre. Le couloir est plongé dans le noir, encore endormi. J'en suis rassurée : ainsi personne ne me verra dans cet état, perdue, effrayée et à deux doigts de la crise de nerf.

     Le talon de mes bottes frotte contre les dalles grises. Je ne sais pas vraiment où aller, alors je laisse mes pas me guider. Quelques fois, je me cogne accidentellement contre un mur, dû à la faible luminosité, tandis que je déambule dans l'inconnu. Des heures se sont écoulées lorsque je décide enfin de m'arrêter, les jambes flageolantes. J'ai marché pendant longtemps, ce qui m'a permise de faire le tour des environs.

     Rien : il n'y a aucune sortie, aucune fenêtre, aucun signe de l'extérieur. Je vais devenir folle à force de tourner en rond dans ce labyrinthe lugubre. Je glisse au sol, les paupières closes, en me massant les tempes, sentant une migraine arriver. Je suis coincée ici. Pour une raison que j'ignore, on ne veut pas de moi dehors. Mais pourquoi ? Qu'y a-t-il derrière cette enceinte ? Qu'est-ce qu'on cherche à me cacher ?

+++

     De retour dans ma chambre, les heures filent pendant lesquelles je me perds dans mes pensées. Je suis assise à même le sol, le regard perdu dans le vide sans vraiment savoir ce que je devrai faire. Contre toutes attentes, je suis étrangement calme. Les évènements de mon rêve sont encore frais dans ma tête, mais une voix dans celle-ci me murmure de ne pas m'inquiéter.

     Pourtant, ça ne m'empêche pas de ruminer sur la raison obscure qui me maintiendrait isolée de tout, sans être vue ni pouvoir voir. Je repense à ce que Galen m'a dit, que je devais lui faire confiance. Est-ce qu'il parlait de ça ? Comme quoi je devrais les suivre à l'aveugle en espérant de ne pas tomber ?

     Je ne peux pas faire ça, je ne peux pas me le permettre. Ce n'est pas un jeu, il n'y a pas de trophée à gagner, ni de règles à respecter, cependant, je ne pourrais lui faire confiance que si j'ai toutes les cartes en main.

     Je joue distraitement avec l'hologramme au plafond. La douce mélodie d'un oiseau chanteur perché en haut de son arbre résonne dans mes oreilles, j'écoute l'écoulement des rapides d'une rivière qui s'écrasent avec fracas sur des rochers, je plonge dans les montagnes de sable fin d'un désert ardent, je frissonne devant la pluie torrentielle qui s'abat sur les larges feuilles caoutchouteuses d'une forêt amazonienne.

The Price of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant