|16| Prise au piège

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     Je ne peux pas y croire. L'odeur étouffante des mégots de cigarettes se mélange aux rejets nauséabondes des égouts sur le trottoir et me saisit à la gorge. J'en ai les larmes aux yeux. La cité du Centre s'élève toujours devant moi, parmi les nuages. L'aube se lève déjà.

     Je suis tétanisée. Je ne peux regarder ailleurs que sur ce caillou rocheux flottant. C'est donc ici qu'ils m'ont emmenée. Là où je ne voulais surtout pas être, là où j'étais certaine d'y retrouver les deux seules personnes que je fuyais désespéramment, durant ces cinq dernières années. C'est comme être propulser en arrière, de retour à la case départ. C'est presque aussi pire que si je débarquais dans mon ancienne maison, dans mon village natal. Pas étonnant qu'on refusait de me dire où je me trouvais, je serai sans doute partie en courant.

     Et c'est exactement ce que je fais maintenant.

     Je prends mes jambes à mon cou. J'ai tellement honte de moi, mais je suis aussi si vulnérable, ici. Où sont passées mes belles promesses de ne plus fuir ? Je me rends compte que je manque cruellement de détermination. Rien n'est acquis, j'ai été stupide. Je ne peux pas juste rester là, à loucher sur cette ville volante, en sentant tout mon courage s'envoler avec elle.

     Je trébuche et me cogne contre des passants. Je grommelle un petit ''Désolée'' à peine audible, mais ils ont déjà déguerpi, ne voulant certainement pas attirer l'attention.

     Je regarde par-dessus mon épaule et reprends ma route. Le visage furieux de ma mère me revient en mémoire, ses traits déformés par la fureur, m'attaquant comme un animal sauvage. Puis, le sourire désireux du Comte DeValois qui se reflétait dans ses pupilles sournoises, et ses doigts baladeurs qui couraient sur mon corps.

     Je m'écroule dans une ruelle. Ils sont peut-être au-dessus de moi en ce moment-même, entrain de profiter du confort que le Centre peut leur offrir, ou plutôt qu'ils peuvent s'acheter. Les savoir si proches de moi me rend malade. C'est comme si j'avais fait tout ceci pour rien.

     Je me raccroche au muret pour me redresser. Du grabuge me fait lever la tête. Je n'aurais pas dû. Mon geste a attiré l'attention d'un groupe de trois hommes. Ils échangent rapidement quelques billets avant qu'un ne reparte aussi vite qu'il était arrivé.

     Pendant un instant, je crois pouvoir m'en tirer et j'esquisse un mouvement pour faire demi-tour, mais le bras d'un dealer me bloque le passage. Merde. Les ennuies arrivent.

« Où est-ce que tu crois aller, ma jolie ? Me demande-t-il innocemment, comme s'il ne me retenait pas collée contre un mur. »

     Je ne dis rien, je me contente de fixer mes chaussures, les points serrés. Leurs fortes haleines me répugnent. Je me recroqueville un peu plus, alors que son acolyte s'approche de nous avec un sourire railleur. Je dois partir d'ici, et vite.

« Qu'est-ce qui t'amène ici, de si bonne heure ? Ce n'est pas un endroit sûr pour une jeune fille comme toi.

- Rien, je réponds, toujours en évitant leurs regards. Je ne fais que passer. »

     Il attrape une mèche de mes cheveux et l'a fait tourner entre ses doigts. Je me retiens de lui hurler de ne pas me toucher. Mon cœur bat à cent à l'heure. J'ai peur de ne pas réussir à bouger s'il me fait du mal. Je ne veux même pas y penser.

« Ah oui ? Continue-t-il. Malheureusement, on ne peut pas te laisser te sauver comme ça.

- Pourquoi pas ? Je n'ai rien vu. Quoi que vous fassiez, ce ne sont pas mes affaires. »

- Exactement, m'affirme-t-il en se rapprochant encore plus de moi. Mais on peut s'amuser un peu avant, tu ne crois pas ? »

     Sa main effleure ma joue, mais je ne le laisse pas me toucher davantage avant de lui mordre les doigts. Il hurle et je le repousse d'un coup de tête. Son nez craque, du sang coule sur ses lèvres. L'autre se marre en l'entendant jurer.

The Price of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant