C'est exactement comme la dernière fois. La nuit durant laquelle mon village a été ravagé est encore trop encrée dans ma mémoire pour que je ne l'oublie. Je me réveille parfois en sueur, croyant suffoquer sous la fumée, une odeur de chair brûlée dans l'air, trop réelle pour être inventée.
Fraichement majeure, je devenais plus téméraire, au grand damne de ma mère qui se démenait pour étancher ma soiffe d'aventure. J'avais regretté amèrement d'être sortie dehors ce soir-là, me demandant si j'atteindrai ma dix-neuvième année et si ce qui m'arrivait n'était pas le châtiment du ciel ̶ littéralement ̶ pour me punir de mon insolence.
Pourtant, à cet instant, quand je savais que je voulais survivre et que j'allais tout faire pour y arriver, je ne m'étais jamais sentie aussi pleine de vie. Alors que je pouvais à tout moment la perdre.
C'était quelque heures avant que j'apprenne que j'allais me marier et que mon monde entier ne vole en éclat, mais pas sous le poids des bombes, cette fois. Cette fois, seulement.
Cette fois, je sais très bien ce qui est en train de se passer et je sais ce qu'il me faudra faire pour survivre. Mon monde repose sur trois personnes et je ne permettrai pas qu'on me les prenne. Qu'ils viennent donc. Cette fois, je suis prête.
L'alarme me vrille les tympans mais je suis soulagée de l'entendre. Tant qu'elle résonnera, cela voudra dire qu'il me reste encore un peu de répit. Je ne gâcherai pas ces précieuses secondes. Le rush d'adrénaline me permet de laisser de côté la trahison d'Enola, les aveux de Cassius et tout ce que je redoute de trouver à l'extérieur de cette cellule. Pour le moment, je dois me concentrer sur sortir et comment le faire.
« Utilise ta colère. Utilise ta force, comme tu l'as fait dans le hangar ou au laboratoire. »
La voix de Cassius envahit ma tête avec la promesse d'un au revoir. Je garde mes yeux fermés et inspire profondément. Je ne peux pas l'écouter, ce serait lui donner raison. Mais il a raison, me rétorque une partie déraisonnée de mon esprit. Mes mains sont libres, elles peuvent bien m'être utiles à quelque chose.
Je me fais une image mentale de la dernière fois que les lianes sont apparues. Mes doigts qui s'étiraient, le bébé serré contre ma poitrine, l'haleine lourde de la bête sur mon visage, tout ce sang... Stop. Ne pense pas à ça. Concentre toi sur comment les matérialiser.
Mais quelque chose me bloque. La peur imbibe la sueur qui colle à mes vêtements. La dernière fois que j'ai subi cette...transformation inexplicable, mon corps n'a pas tenu le coup. Mon visage n'a plus rien d'humain et m'a valu cette muselière. Si je retentais l'expérience, je risquerais de ne plus jamais retrouver une condition normale. Mais ai-je déjà été normale ?
« Ne laisse personne entrevoir la pourriture en toi. »
Non. Je ne veux pas penser à elle. J'essaye de me convaincre que c'est un mécanisme de défense, que mon cerveau se raccroche à des souvenirs familiers pour me retenir de faire face à ce que m'attend. Mais je n'ai pas besoin qu'il me rappelle la déception que je suis pour ma mère. Pas maintenant, ni jamais. Je m'y suis déjà habituée il y a longtemps.
De la poussière s'émiette du plafond à mesure que les murs tremblent. Ce n'est peut-être qu'une simple illusion, mais j'ai l'impression qu'ils se resserrent. Ma panique se fait plus difficile à contenir. Je ne veux pas mourir étouffée sous des plaques de béton, attendant que leur poids vide l'air dans mes poumons. À l'alarme toujours aussi assourdissante se mêle une autre voix :
« Si nous nous fondons dans la masse, personne ne nous remarquera, me susurre le souvenir d'Enola.
- Je ne veux pas vous entendre, je gémis, retenant un son étranglé.
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The Price of Freedom
Ciencia Ficción- liberté ; état de quelqu'un qui n'est pas soumis à un maître La guerre, les explosions, la mort. C'est ce qui compose la vie d'Annabelle, une jeune fille qui tente désespérément de se libérer des chaines du passé. Tout autour d'elle ne cesse de...