|15| Le géant de métal

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     Comme chaque hiver, rien ne vaut une après-midi dans le grand salon au coin du feu de cheminé pour se réchauffer, à l'abris des températures glaciales du dehors. Affalée sur l'accoudoir du canapé, j'observe distraitement ma mère discuter avec un homme inconnu dans l'embrasure de la porte. Elle me regarde d'un mauvais œil en me faisant signe de me redresser. Je roule des yeux en soupirant, et me rassois correctement.

     Elodie, notre nouvelle servante, s'approche de moi avec un sourire aimable et me ressert une tasse de thé fumante. Puis, elle repart dans un coin de la pièce, comme si elle cherchait à disparaître dans le mur. Ses parents l'ont sans doute vendue à ma mère pour subvenir à leur propre besoin. Je la plains, la pauvre. Elle n'est pas tombé dans la maison la plus chaleureuse qui existe.

     Je caresse du bout des doigts le velours du canapé et l'invite à venir s'assoir à mes côtés. Le crépitement du feu de cheminée berce mes oreilles. Je regarde par la fenêtre enneigée. J'espère que Rose et sa famille vont bien, j'ai appris que son père était atteint de la même fièvre que mes grands-parents.

« Ils sont morts ce matin, la maladie les a emportés, annonce tout à coup l'homme, la mine grave. Je suis désolé. Si vous avez besoin de moi, sachez que vous avez tout mon soutien. »

     La porcelaine se brise. Elodie échappe un petit cri en voyant ma mère s'effondrer en pleurs sur le tapis. L'homme remet son chapeau sur son crâne chauve et nous laisse, après avoir adressé ses condoléances à ma mère.

     La servante se précipite vers elle. Je ne l'ai jamais vu si bouleversé. Ses parents viennent de mourir, mes grands-parents, pourtant je ne sais pas comment réagir. Je laisse Elodie sécher ses larmes, sans trop savoir quoi faire. Mes grands-parents n'ont jamais fait attention à moi, ils me méprisaient. Est-ce normal que je ne sois pas triste de leurs décès ?

« Comment vais-je faire ? Sanglote ma mère. Comment vais-je faire, maintenant qu'ils ne sont plus là ? Comment pourrais-je m'en sortir, seule avec une enfant pareille ? »

     Hein ? De quoi parle-t-elle ? Ma mère se relève lentement, le visage ravagé de larmes. J'ai peur. Elle me fait peur. J'ai dit, ou fait quelque chose de mal ? Elle s'avance vers moi, les bras tendus. Je recule. Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi est-elle si en colère ?

« Ne me regarde pas avec ces yeux, là, Annabelle. C'est moi qui devrais avoir peur. De toi. »

     Sa voix tremblante me pétrifie. Mon dos se colle contre le mur. Sans prévenir, ma mère m'attrape férocement les cheveux et me tire en avant. Je me débats, mais elle sert fort mes poignets pour m'empêcher de bouger. Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?!

« Regarde-toi ! Tu es horrible ! Comment vais-je faire pour vivre avec un boulet comme toi, sur les épaules ?! Regarde-toi !

- Arrête ! Maman, arrête ! Tu me fais mal ! Aïe ! Arrête, j'ai peur ! »

     Je cris, mais elle me rit au nez. Elle m'agrippe le visage et je sens ses ongles rentrer dans ma chair. Elle me griffe les joues, la peau, du sang coule dans mon cou, le long de mes bras. Pourquoi ? Pourquoi me fait-elle si mal ?

« Regarde-toi ! Regarde-toi, répète-t-elle inlassablement. Tu es hideuse ! J'ai si honte d'avoir donné naissance à un monstre comme toi ! Pourquoi a-t-il fallu que tu naisses ?!

- Stop ! J'ai mal ! Pitié, pitié arrête ! Maman ! »

     En attendant mes pleurs, Elodie tente de s'approcher. Elle est terrifiée. Mais ma mère la repousse violemment contre un luxueux vase qui explose sur le coup, et elle tombe inconsciente. Je me débats, je hurle à l'aide mais plus personne ne peut m'entendre, ou alors, on fait la sourde oreille. Je recule, et je la frappe en retour pour lui faire lâcher prise. Elle m'arrache des cheveux et je me cogne de plein fouet dans un miroir qui éclate en morceaux.

The Price of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant