|5| Fuir mais ne jamais oublier

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      Emmitouflée dans mon manteau, le même que j'ai acheté il y a trois ans de cela à ce petit marchand, un soir de pleine lune, j'essaye tant bien que mal de me réchauffer. Les trombes d'eau se déversent autour de moi, devenant de plus en plus puissantes à mesure que les minutes s'écoulent. Voilà un peu moins d'une semaine que cette averse se déchaine, et je commence à me demander si j'en verrai la fin un jour. Le vent siffle en rafale dans mes oreilles et manque plusieurs fois de faire s'envoler ma capuche solidement rabattue sur mon visage.

     La pluie ralentit ma progression alors que les pavés se font plus glissants. De petits ruisseaux dévalent en force les rues en contrebas, inondant tout sur leur passage. J'entends les pas pressés des gens par-dessus le vacarme de la tempête. Ils ne veulent pas s'attarder plus longtemps dehors avec un temps aussi misérable. Pourtant, quelques courageux résistent encore à l'appel d'un abri au chaud et sont bien déterminés à finir leurs emplettes.

     Je me glisse à travers la foule, ne souhaitant pas rester sous cette averse plus longtemps. Je m'arrête un instant et m'appuis contre un mur détrempé pour m'assurer que mon visage est toujours masqué par ma capuche. Je replace mes cheveux derrière mes oreilles et prends une grande inspiration avant de replonger dans la foule de promeneurs. Mon regard balaye les différentes étales et je ne peux m'empêcher de me lécher les babines en sentant l'odeur enivrante des fruits exotiques et du pain fraichement sorti du four.

     Je passe devant le stand d'une vieille dame à la peau grisâtre et aux yeux globuleux, et jette un coup d'œil rapide aux bijoux de fortune qui recouvrent sa paillasse, en me demandant s'ils sont vraiment faits de bronze, comme elle semble le prétendre. Un flash se fait dans mon esprit.

     Une image me revient en mémoire. Cette nuit là, où terrifiée et frigorifiée de froid, j'avais vendu un collier de perle en guise de monnaie d'échange à un pauvre marchand, contre de quoi me tenir chaud. Le bijou a dû le nourrir pendant des mois. Cette époque semble si loin à présent. Trois ans ont passé depuis, et tout semble différent. Tout est différent, en réalité. Ma vie a changé. J'ai changé. Et je ne sais plus si je dois le regretter ou non.

     Je n'aurais peut-être pas dû m'attarder sur son étalage car la vieille femme fend l'air tel un majestueux rapace et me fixe d'un regard perçant. Sauf qu'elle n'a rien de majestueux, même si sa bouche sans dents ressemble étrangement à un bec d'oiseau. Je ne pense pas que ce soit un compliment. Elle vocifère des mots que je ne comprends qu'une fois sur deux, et pointe furieusement son doigt vers les bijoux de contrefaçon. Je crois qu'elle veut que j'en achète un. Je murmure un ''au revoir'' à peine audible et m'éclipse de son champ de vision avant de me faire avoir par une de ces escroqueries.

     Les gens passent leur chemin sans me prêter attention et je suis percutée dans tous les sens. Je perds pied et atterrie la tête la première dans une flaque d'eau. La peau ruisselante et les vêtements trempés, je pousse un juron et me relève rapidement avant qu'on me marche sur les doigts. La seule chose qui me maintenait au sec est maintenant dégoulinante d'eau.

« Super, je soupire à nouveau, en frottant mes habits, dans l'espoir de les sécher, en vain. »

     Mais je ne me décourage pas. La faim qui creuse le ventre est une assez bonne motivation. Je longe les différentes étables avant de trouver celle qui m'intéresse. C'est mon jour de chance aujourd'hui, une foule de monde se presse devant l'établie et le marchand est trop occupé à servir tous ses clients. L'odeur de pain grillé me parvient plus nettement à présent. Peut-être que je vais pouvoir manger finalement. J'en salive d'avance. Je me mêle à eux et avance toujours plus prêt du comptoir. Le boulanger ne m'a pas encore remarqué, de même pour les clients qui commencent à s'impatienter et s'écrient de plus en plus fort. Mon diner est là. Enveloppé d'une serviette en papier, la croute est dorée et la mie doit être tendre à l'intérieur.

The Price of FreedomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant