The Price of Freedom

|25| Hors de portée

Un silence lourd, assourdissant se répercute dans l'immensité du hangar, suspendant le temps, ainsi que le crépitement du brasier de flammes. J'agrippe plus durement le manche de mon fusil, d'une poigne de fer, consciente de la dizaine de canons braqués droit sur mon crâne. Les soldats me jugent à travers leur viseur. Tout comme moi, ils attendent l'instant où ils presseront la détente.

Le claquement sec des bottes fraichement cirées s'avance vers moi. Une main gantée empoigne sans ménagement mes cheveux et me redresse péniblement la tête. Je reconnais une voix charnue, laquelle cache une moue narquoise.

« Ces traîtres semblent impatients de mourir. Ne les faisons pas attendre plus longtemps. »

Il me relâche prestement, comme-si le simple fait de me toucher suffisait à le dégouter. Mon nez fragilisé s'écrase contre le sol, dans un craquement sinistre. Le goût métallique du sang se répand dans ma bouche, tandis que je crache pour m'en débarrasser, et pousse sur mes avant-bras pour me redresser.

Je louche sur l'intérieur du canon pointé directement entre mes deux yeux. Depuis le temps que je joue inconsciemment avec elle, la mort s'est enfin décidée à me faire payer mon audace. En fin de compte, peut-être que tout ceci n'était qu'une vaste illusion, nourrie par des fantasmes idylliques, pour des gens qui avaient déjà trop perdu.

Les grognements de mes camarades, mélangés aux supplications de la jeune servante me parviennent. Un horrible sentiment de culpabilité me noue la gorge lorsque je réalise que j'emporterai ces trois personnes, auxquelles je dois tant, avec moi dans la tombe. Elle doit sûrement regretter de nous avoir apporter son aide.

J'ai l'impression que chaque personne assez folle, et ayant assez de courage pour entrer dans ma vie, finissent tous par en payer le prix fort. J'en ai assez de causer du mal à ceux qui choisissent de m'entourer. Je ne voulais pas mourir avec eux, par ma faute.

Et alors, vient notre sauveur.

Ce n'est d'abord qu'un infime bourdonnement, trop éloigné pour être perçu distinctement. Puis, se rapprochant, le bruit se fait plus sonore dans mes oreilles. Le grognement d'une machine. Une mèche de cheveux s'échappe de sous un casque, balayée par une brise artificielle. Le sol se met à trembler, réveillant l'inquiétude chez les soldats. C'est le rugissement d'un moteur.

Le nez d'un vaisseau apparaît à la porte du hangar, recrachant des hommes et des femmes qui poussent avec fureur des cris de guerre.

Les soldats se détournent immédiatement de nous, dépassés par la pluie de coups de feu. Leur chef vocifère des ordres, s'empressant de réajuster son arme, imités par les autres, avant de se faire exploser le crâne par une balle perdue.

La bataille fait rage. Du sang et des détonations, naît le chaos. Les rebelles avancent avec acharnement, endurcis par des années de malheurs et d'injustices, motivés par leur soif de vengeance. Les forces du Centre essayent avec bravoure de repousser leurs envahisseurs, les mêmes qu'ils ont baptisés traîtres. Ils ont toujours été soumis aux règles, à l'ordre et à la discipline. Sauf que cette guerre ne repose sur aucune règle. L'ordre se confond à la confusion, la discipline se heurte au désordre.

L'arrivée imminente de la Rébellion me tire de ma léthargie. Je m'efforce de chasser le sang me couvrant les yeux, et rampe à l'aveuglette, guidée par le vrombissement incessant du moteur. Je cherche du regard des signes de vie de mes amis à travers la poussière et les uniformes blancs. Le corps tremblotant de Elodie est étendu à quelques mètres de-là. Son doux visage est scarifié par une profonde cicatrice, marquée de son arcade sourcilière à la pointe de son nez.

Je pousse sur mes coudes et rampe avec grande peine vers elle, les dents serrées face à la douleur lancinante qui traverse mon corps. Le monde explose autour de moi, tandis que je m'efforce de m'y frayer un chemin à travers.