Prouve-le

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Alors qu'elles restaient là, sur le toit, suspendues dans cette tension électrique, les yeux d'Anaïs se perdirent un instant dans le vide, les souvenirs déferlant comme une vague incontrôlable. Ses mains tremblèrent à peine, un détail qu'Ellie ne manqua pas de remarquer, même si elle resta silencieuse. Les mots qu'Anaïs s'apprêtait à prononcer semblaient se perdre avant d'atteindre ses lèvres, et Ellie sentit la colère remonter, cette amertume douloureuse qu'elle traînait depuis des années.


C'était l'été avant leur entrée en seconde, et Ellie, dans un élan de sincérité et de confiance aveugle, avait confié à Anaïs ce secret si lourd qu'elle portait depuis des mois. Elles étaient seules, allongées sur l'herbe dans le jardin, regardant le ciel étoilé. Ellie avait fermé les yeux un instant, cherchant le courage, avant de murmurer, presque inaudible : 


« Anaïs... je crois que je suis lesbienne. »


Anaïs avait cligné des yeux, surprise mais étrangement apaisée par la confession d'Ellie. Elle ne savait pas exactement quoi répondre, mais elle sentait cette fierté monter en elle, une admiration sincère pour cette amie qui osait dire ce qu'elle-même n'aurait jamais osé exprimer à cet âge. Elle avait souri, un sourire timide mais bienveillant, avant de lui murmurer maladroitement : 

« Je m'en doutais mais t'es courageuse, tu sais. »

Cependant, cette complicité avait rapidement volé en éclats lorsque, par maladresse, Anaïs avait raconté ce moment à ses parents lors d'un dîner, sans se douter de la réaction de son père. Peut-être espérait-elle que cette confession d'Ellie servirait d'exemple de courage pour lui prouver qu'il y avait quelque chose de spécial dans leur amitié, quelque chose qui dépassait les jugements et les normes.


Mais la réaction de son père avait été d'une violence inouïe. Il avait explosé de colère, son visage rouge de fureur, jetant des regards glacials à Anaïs. Elle s'était figée, incapable de répondre, terrorisée par cette haine qu'il affichait ouvertement. Ce soir-là, elle avait compris qu'elle était prise au piège, qu'elle ne pouvait pas être celle qu'Ellie avait besoin qu'elle soit. Elle devait faire un choix impossible : l'amitié inconditionnelle ou la sécurité de sa propre existence dans le giron familial.


« Tu sais, Ellie, » commença Anaïs, la voix tremblante, « j'ai... j'ai été horrible. »Ellie resta silencieuse, mais son regard devint plus dur, comme si elle l'interrogeait sans prononcer un mot. Elle attendait des excuses depuis trop longtemps pour croire qu'elles allaient finalement arriver, et pourtant, la douleur dans la voix d'Anaïs lui semblait sincère.« C'est pas juste que je te dise ça maintenant, mais... mon père... il m'a fait comprendre que ce genre de choses... »

Elle hésita, comme si chaque mot était une lame qui tranchait en elle. « Ce que tu m'avais confi cet été-là... je l'ai dit à mes parents sans réfléchir. J'étais fière de toi, Ellie, vraiment. Je voulais leur montrer combien tu étais courageuse. Mais... mon père a tellement mal réagi. Il a crié, m'a interdit de... enfin, il m'a fait comprendre que... que j'avais pas le droit de m'entourer de gens comme toi. »

Ellie esquissa un sourire amer. « Donc, c'est pour ça ? C'est pour ça que tu as commencé à me détruire petit à petit, que tu t'es mise à me rejeter, à te moquer de moi ? »

Le visage d'Anaïs s'assombrit, une ombre de regret teintée de douleur flottant dans ses yeux. « C'était stupide, je sais. Mais je pensais que... je pensais que si je me montrais cruelle, ça suffirait. Que tu comprendrais sans que je te dise la vérité. » Elle serra les poings, cherchant ses mots. « En réalité, je n'arrivais pas à couper les ponts avec toi. Ces moqueries, ces piques... c'était ma façon de rester proche de toi. D'être encore là, d'une manière ou d'une autre. »

Me and the DevilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant