Chapitre 73

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...Damian...

Les nuits sans sommeil s'accumulaient, et avec elles, l'épuisement s'infiltrait en moi, comme un poison lent. Je ne vivais plus que dans l'ombre de mes pensées, hanté par cette idée fixe. Depuis cette vidéo, depuis cette vision insupportable, je m'étais persuadé que tout cela n'était qu'un jeu cruel orchestré par le Sculpteur. Il n'y avait aucune autre explication acceptable, aucune autre version que je pouvais supporter. Parce que si cette femme, celle que j'appelais mon cygne, était bien celle que je connaissais, elle n'aurait jamais pu me faire ça. Elle n'aurait jamais pu disparaître ainsi, me laisser dans cette descente infernale sans une explication, sans un mot, sans un regard. Elle n'était pas de ceux qui fuient, encore moins de ceux qui trahissent.

Ce qui me rongeait, ce qui m'aspirait dans une spirale de tourments sans fin, c'était cette pensée, insidieuse, que peut-être, quelque part, elle était sous l'emprise de quelqu'un. Peut-être qu'elle souffrait, enfermée dans un enfer auquel je n'avais pas accès, et que, chaque jour, chaque seconde, elle attendait que je la sauve. Mais cette idée-là, cette idée d'impuissance, je ne pouvais pas y croire, parce que la douleur qui en découlait était trop grande, insupportable.
La théorie du Sculpteur, cette conviction qu'il orchestrait tout cela pour me briser, était devenue ma bouée de sauvetage. Une façon de rester ancré dans la réalité, de croire que je n'étais pas en train de sombrer dans une folie sans retour.

Si je laissais s'effriter cette conviction, alors il ne me resterait plus rien pour me raccrocher à la raison. Cela signifierait que, peut-être, elle avait choisi de partir, qu'elle n'était plus celle que j'avais aimée, qu'elle m'avait trahi, ou pire, oublié. Mais je ne pouvais pas l'envisager. Ce serait comme perdre la dernière part de moi-même, celle qui continuait de croire en elle, celle qui espérait encore, malgré tout.

Je me levai de mon lit, le corps alourdi par la fatigue, et je me retrouvai encore une fois à compter les jours, à marquer le temps comme un prisonnier dessine des traits sur le mur de sa cellule. Quarante-cinq jours. Dans quarante-cinq jours, cela ferait un an depuis que j'avais écrasé l'empire des Miller et, dans ce même mouvement, perdu mon cygne. Le chiffre me réconfortait presque, comme une promesse silencieuse. Elle ne m'aurait jamais laissé derrière elle, pas pour un an. Mais, malgré moi, une autre part de moi n'avait de cesse de me rappeler cette possibilité déchirante, celle où elle avait vraiment disparu de sa propre volonté. Et ainsi, je retombais dans ce même cercle vicieux, rattrapé par mes pensées obsédantes. La liste, la vidéo, sa fuite... tout revenait comme des spectres me hantant sans répit. Tous les scénarios défilaient, s'entremêlaient, se multipliaient à un rythme qui me dépassait, me ramenant à cette question lancinante.

Comment le cerveau humain pouvait-il être capable de tant de cruauté par la simple pensée ?

D'un geste mécanique, comme guidé par une force invisible, j'ouvris le tiroir où je gardais tout ce que je prétendais vouloir oublier. Dans ce tiroir, des morceaux d'elle, de nous. Je pris mon carnet de dessin, mais je n'y trouvai plus aucun réconfort. Depuis son départ, je n'avais plus dessiné, et les pages de mon carnet ne contenaient plus que son visage, figé dans des traits que j'avais esquissés sans relâche, comme pour m'accrocher à ce que j'avais perdu. À côté, il y avait un de mes vieux t-shirts, celui dans lequel elle dormait parfois, une habitude qui me semblait désormais appartenir à une autre vie.

Et puis, il y avait cet écrin rouge. Ce petit boîtier, discret mais vibrant de cette couleur profonde, faisait remonter en moi une vague de souvenirs rien qu'à le regarder. Le jour où elle m'avait confié que c'était sa couleur préférée, j'avais acheté cet écrin sans réfléchir, comme un acte impulsif mais chargé de sens. Ce geste, je ne l'avais jamais vraiment expliqué, comme si ma main avait été guidée par une certitude inconsciente.

NightHawk T1&T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant