Un jeu de trop

Chapitre 8 : Jack

Le réveil est douloureux.

Je n'ai presque pas dormi de la nuit. Le canapé de Peter n'était pas confortable mais ce n'est pas la raison de mon insomnie. Le visage de la fille me hante. Je revois ses yeux malicieux, sa cicatrice, son sourire. Je regrette de ne pas lui avoir demandé son numéro mais je suis resté paralysé par son geste. Elle m'a rendu silencieux. Ce n'est pas dans mes habitudes.  

Je quitte rapidement l'appartement de mon ami après lui avoir emprunté une chemise. Je garde ma cravate et ma veste. Ma cravate. Celle que je portais hier soir. La veille, la jeune femme a laissé son trophée sur la table. J'ai pu la récupérer. Je la porte de nouveau aujourd'hui car je n'ai pas le temps de repasser chez moi pour me changer. Décidemment, ce n'est encore une fois pas dans mes habitudes. 

La BMW d'Alfredo m'attend devant l'immeuble de mon ami. Je m'y engouffre et vérifie mes mails sur mon téléphone.

-Grosse journée? demande mon chauffeur.

-Oui. Je rencontre mes employés. Je dois leur faire bonne impression.

Mon père était proche de nos collaborateurs. Il était à leur écoute. Il se souciait d'eux, sincèrement. Je veux faire de même. Malgré ma froideur, je souhaite qu'ils me fassent confiance et qu'ils me respectent.
C'est donc avec détermination que je retrouve mes locaux. 

-Alors fiston? m'attend Nick dans le hall d'accueil. Prêt à découvrir tes employés?

Il me sourit de toutes ses dents anormalement blanches fluorescentes.

-Bien sûr.

-Nous avons du monde à voir, commençons !

Tel un guide, Nick m'indique les différents bureaux dans l'immense bâtiment. Je me présente à chacun des employés avec professionnalisme. Nick préfèrent les taquiner ce qui semble les mettre mal a l'aise et le desservir. J'affiche une image contraire à la sienne. Celle d'un patron sérieux.

-Il nous reste un dernier service à rencontrer, m'indique mon associé dans un couloir.

-Le marketing. Ils sont quatre, c'est bien ça ?

-Oui. Ils sont tous talentueux, surtout ma Lisa.

Merci papa pour le cadeau. Je retiens ma réflexion tandis qu'il me présente rapidement l'équipe.

-Denis dirige l'équipe. Il est légèrement susceptible et il ne faut surtout pas lui parler de son ex-femme. Elle est parti avec une autre...

-Nick. Leur vie privée ne m'intéresse pas.

Nous passons devant deux collaboratrices qui rougissent. Je leur décoche un sourire et elles pouffent.

-Tu vas faire des ravages, se moque Nick.

-Ce n'est pas mon attention. Continue de me présenter l'équipe.

-Nous avons ensuite les brillants Henri et Ella mais la véritable pépite s'appelle Lisa. Elle est arrivée il y a peu et elle se débrouille comme une cheffe. Elle a beaucoup de qualités.

-Je n'en doute pas.

Nous finissons par arriver dans leur bureau. Lorsque je pose un pied à l'intérieur, Lisa me saute aussitôt dessus. 

-Salut Jack! s'égosille-t-elle la voix. Tu préfères peut-être que je t'appelle Monsieur Lewis ? Au vu de notre relation, je me permets cette familiarité.

-Je préfère Monsieur Lewis.

Elle me tend alors sa main manucurée et s'amuse d'une voix chaude :

-Monsieur Lewis.

Elle me dévoile une décolleté plongeant en jouant avec une mèche dorée. Je me racle la gorge, gêné par son comportement. Lisa est une très belle femme mais je ne la désire pas.

Notre échange ne semble pas avoir été remarqué par ses autres collègues. Tous sont focalisés sur leur ordinateur, sauf la jeune femme Ella. Elle se mouche négligemment.

-Bonjour à tous ! intervient Nick.

-Bonjour.

Ma voix grave les pousse à me regarder. Lisa, Henri et Denis m'observent avec attention.

-Je vous présente Jack Lewis, fils du très célèbre Charles Lewis, votre nouveau patron. Comme vous le savez, je pars à la retraite dans moins de deux mois. Jack va donc reprendre l'entreprise seul.

Nick me donne une tape amicale sur l'épaule. Je lui lance un regard sévère tandis qu'il poursuit :

-Lewis & Milton est une entreprise avec une bonne production, des gérants exemplaires, une ambiance sympathique. Grâce à Lisa et Ella...

La femme au fond du bureau lève la tête de son mouchoir après l'appellation de son nom et nous regarde enfin.

-Notre communication est fondamentale et nous nous devons de...

Mais je n'écoute plus ce que dit Nick. Je regarde la femme qui se mouche, j'étudie son visage. Ses yeux sont rouges, des cernes sont visibles sous ses yeux, elle a pleuré.

Quand ses yeux croisent les miens, je sais qui elle est.

En plus d'être mon employée, c'est la fille du bar.