Chapitre 24 : Jack

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J'ai fait ce que je devais faire.

Mon coeur est un lambeau depuis hier, depuis qu'elle n'est plus là. Ma respiration est comprimée. A chaque inspiration, mon cœur témoigne de son absence.

J'ai eu l'espoir de la voir au travail aujourd'hui, mais elle n'est pas venue. Son supérieur m'a dit qu'elle était malade, c'est un mensonge. Elle ne sera pas là demain, ni les autres jours.

Mon attention tente de se concentrer sur les chiffres sous mes yeux. Des urgences m'attendent mais mon esprit n'est pas au rendez-vous. Je revois sans cesse son visage sous la pluie, blessée.
Ses paroles n'étaient qu'un tissu de mensonges, elles étaient un appel à l'aide. J'ai fait mon possible pour la sauver. J'ai été voir ce crétin d'Ethan. Ma requête était qu'il lui présente ses excuses. Il ne voulait pas lorsque j'ai tambouriné la vieille à sa porte. Dany m'avait partagé son adresse et j'ai foncé chez lui. Lorsque je lui ai rappelé ses dettes et sa manière frauduleuse d'avoir obtenu sa salle de sport, il a blêmit. Il risquait gros si les journaux apprenaient qu'il avait emprunté auprès du fils de la famille Genovese, un mafieux connu des services de police grimé sous un pseudo-post de comptable.
Il a accepté d'aller s'excuser, j'espère que ce salopard l'a fait.

Ce n'était pas par vengeance que je l'ai menacé, ni pour qu'elle me revienne, je l'ai fait pour que les fissures de sa vie se réparent.

Mon téléphone vibre dans ma poche mais je ne réponds pas. Je n'ai aucune envie de me plonger dans une conversation professionnelle.
Cependant, la sonnerie continue et m'oblige à répondre à mes responsabilités. D'une voix lasse, je réponds :

-Jack Lewis.

-Jack? C'est Nick.

Pitié pas lui. Je ferme les yeux, agacé d'avoir un échange avec mon collaborateur. Sa voix se porte par dessus un amas de bruit :

-Comment ça va fiston?

-C'est plutôt à toi que je devrais poser cette question.

Un rire gras résonne dans mes oreilles, il a bu.

-Je fête mon départ à la retraite.

-C'est ce que j'entend. Tu ne l'avais pas déjà fêter ?

-On ne le fête jamais assez !

J'entends au loin de la musique, des rires, de la vie.

-Écoute fiston, commence-t-il. Je t'appelle pour parler de Lisa. Elle est inconsolable. Tu ne lui parles presque plus depuis que tu sors avec Ella.

Mon agacement s'accroît, Nick en est la cause.

-C'est une chouette fille! Mais Lisa ne t'intéresse vraiment pas ?

-Non. J'aime Ella.

Nick arrête de rire au téléphone et un long silence se poursuit. La musique au loin résonne dans mon téléphone puis la voix de mon vieil ami :

-Tu es quelqu'un d'affreusement déterminé. Je n'arriverais pas à te faire changer d'avis, comme ton père a l'époque.

La mention de mon père ne m'irrite pas. Pour la première fois, j'ai presque envie d'entendre Nick en parler.

-Il serait fier de toi.

-Il n'a jamais été là.

-C'est vrai mais il me racontait sans cesse tes exploits. J'étais au courant de toutes tes réussites.

-Il pensait à moi ?

-Sans arrêt, m'affirme Nick. J'avais le droit à la mention de toutes tes compétitions, de tous tes prix, de tes diplômes...

-Il ne me l'a jamais montré.

-Il n'en était pas capable. Il a arrêté de vivre le jour où ta mère nous a quitté.

Il n'était que l'ombre de lui-même car rien n'avait de sens à ses yeux. Il attendait le moment de la rejoindre. C'était un choix égoïste, mais comment lui en vouloir ? Quand un cœur est détruit, rien ne peut le réparer.

-Il me manque tous les jours, se désole-t-il. Ta mère également. Ils s'aimaient tellement. Je n'ai jamais vu un tel amour.

Le visage d'Ella me vient en mémoire.

-Si tu aimes Ella, ne doute pas ! Fonce ! Ne laisse pas passer ta chance, tu m'entends ?

-Oui.

-Bien !

Je suis étonné du comportement paternel de Nick. Il se montre attentionné.

-On m'appelle pour fumer un cigare ! fait-il.

Le naturel revient au galop et sa voix graveleuse s'éloigne petit à petit du combiné. Je raccroche alors, touché par ce court échange de paroles. Il m'a rassuré, il m'a encouragé et il m'a certifié que mon père pensait à moi. Ce que je doutais jusqu'alors.

Jack!

Je fronce les sourcils lorsque j'entends mon prénom.

Jack!

Cette voix. Elle résonne dans mes veines, sous ma peau, contre mon cœur.
Ai-je rêver la voix d'Ella ? Sûrement, je n'entends aucun son. Le silence est maître dans les couloirs. La fatigue doit me jouer des tours.

Jack!

Mon nom retentit une troisième fois. La voix est claire et très audible. Je m'aventure alors hors de mon bureau pour mieux entendre.

Jack!

Le bruit se fait plus proche comme des bruits de pas saccadés.

Jack!

Un choc traverse mon corps. Ella, c'est bien elle.

Mon esprit arrête de réfléchir pour laisser mon cœur le faire. Instinctivement je cours dans les bureaux pour la trouver. Je dénoue ma cravate qui me serre la gorge et ouvre toutes les portes.

À chaque pièce que j'ouvre, le néant. Elle n'est pas là. Sa voix ne m'appelle plus et m'empêche de distinguer sa présence. Ou peut-elle bien être ?
Salle de conférence, non. Secrétariat, non.
Bureau administratif, non.

Je me dirige vers son bureau, le dernier endroit où je n'ai pas fouillé. C'est le plus évident mais rien n'a plus d'évidence sans elle.
L'endroit est sombre, seuls les lampadaires de l'extérieur éclairent la pièce. Quand je fais un pas sur le parquet, je sens instinctivement sa présence.
À l'autre bout de la salle, sa silhouette.

Ella se retourne.

Je serre les poings et prend mon courage à deux mains.

Je vais foncer comme m'a encouragé Nick et comme l'aurait voulu mon père.

Un jeu de tropOù les histoires vivent. Découvrez maintenant