Chapitre 4: Ne t'inquiète pas !
Un an plus tard ...
Château de Villandry, Pays de la Loire, 17 septembre 1669 :
Ce soir-là, des milliers de questions tournaient dans mon esprit, m'empêchant de trouver le sommeil. Demain j'allais être à nouveau en route pour Versailles. Mais cette fois-ci j'y demeurerai... Cette perspective n'était pas pour me déplaire. A la maison l'atmosphère était pesante. Je voyais à peine Adrien, occupé par ses études et j'étais moi-même assommée de leçons depuis plus d'un an. C'était d'un ennui... Pourtant j'y mettais toute mon application. Je ne voulais pas finir inculte et mièvre comme la plupart des filles de ma condition. Il me semblait que le savoir était la chose à laquelle je pouvais m'agripper, la chose qu'on ne viendrait jamais me retirer.
Après le bal, qui eut lieu voila un an, je ne retournai plus jamais au couvent où j'avais été élevée... Elsa non plus d'ailleurs. Le roi nous avait, semblait-il remarquées et quelques jours à peine après la fête nous recevions une lettre. Nous allions devenir demoiselles d'honneur de la princesse Henriette d'Angleterre, belle-sœur du roi. Sans doute était-ce pour honorer nos pères qui s'étaient battus vaillamment à son côté.
A partir de ce moment, ce fut le défilé à la maison de professeurs et d'emplois du temps ahurissants. J'avais même appris l'anglais, de ce que l'on peut apprendre d'une langue en une année... J'étudiais Shakespeare même si j'étais bien loin de tout comprendre. Qu'importe, je trouvais ces textes merveilleux ! Père assurait que cela plairait à Madame qui était Anglaise et je pourrais ainsi m'attirer ses bonnes grâces.
Villandry ressemblait plus à une ruche qu'à la paisible maison que je retrouvais tous les étés. Mes deux plus jeunes sœurs, Louise et Isabelle, avaient été envoyées toutes deux au couvent. Plus droit aux bêtises d'antan... Je devais à présent porter le corset tous les jours ainsi que des toilettes volumineuses et complexes. Pour prendre « l'air de la cour » avait spécifié ma mère. Ce n'était que pure torture !
La cour me semblait si loin, si irréelle... Ce n'était pas mon "monde" ni celui auquel j'avais toujours aspiré. Tout ce à quoi j'aspire est ici... Ou, tout du moins, l'était avant que tout ne change en perspective de mon départ.
Tous les jours de ma vie je voudrais pouvoir me lever avec la même lumière filtrant par ces mêmes volets en me disant "voilà une belle journée qui commence !". Et me coucher le soir en admirant les mêmes étoiles et en me disant " Demain sera un jour aussi merveilleux que celui-ci" et je ne me lasserais jamais de cela...
Ce n'est pas non plus que je n'ai pas envie de partir... C'est tellement compliqué! La cour c'est loin, c'est beau, c'est brillant, il y a beaucoup de monde à rencontrer, tant de choses à voir. Je veux connaitre cela aussi! Et pas seulement en tant que simple spectatrice! Je veux participer à ce monde, y laisser quelque chose, en faire partie! C'est aussi lointain pour moi que les terres sauvages d'Amérique! Et puis, j'aurais beau faire le tour du monde, rencontrer tous les gens de cette Terre, je sais qu'au final il n'y a que Villandry que j'aimerais. Comment l'expliquer : je n'ai rien vu mais j'ai pourtant tout vu !
- Zéphyrine ?... J'entendis une voix derrière la porte. C'était celle d'Adrien. Il entra sur la pointe des pieds de peur que quelqu'un ne l'entende.
Il tenait une épée, rangée dans un fourreau.
- Que fais-tu ici ? demandai-je toute étonnée.
- Chut ! On va nous entendre. Je voulais juste te donner ça. Il vint s'installer dans le lit près de moi et déposa l'épée sur le drap. Je sais c'est bien étrange mais je sais que tu en as toujours voulu une.
- C'est... c'est très gentil mais à quoi me servira-t-elle ? dis-je en sortant l'épée du fourreau d'un geste maladroit.
- Attention ! C'est pour te protéger, pas pour te mettre en danger pintade ! Si j'avais su, je ne te l'aurai jamais offerte.
Je me mis à rire.
- Tais-toi ! Tu vas réveiller tout le monde !
- La cour n'est pas si dangereuse enfin ! Et je me vois mal me promener dans les bosquets avec une arme cachée sous mes jupes.
-Garde-la, j'y tiens. Avec les voix que tu as entendues dans les bosquets pendant la fête, tu te souviens ? Et comment... Cela ne cessait de me hanter. « Se débarrasser de l'intrigante ». Cela me donnait des frissons rien que d'imaginer le crime qui se tramait. Je n'en avais parlé qu'à Elsa et Adrien et leur avait fait jurer de ne le point répéter ailleurs. Que ce passerait-il s'il arrivait aux oreilles de ces intrigants qui n'étaient pas seuls ce soir là ?
- J'ai pensé que ce serait plus prudent, conclut-il.
- Tu as raison.
Voyant que le silence commençait à s'installer, je proposai à Adrien de m'apprendre à me servir de son présent.
- C'est plus lourd que je ne le pensais, fis-je en me levant l'arme à la main.
-J'ai pris la plus légère. Et regarde, il y a nos armes sur le pommeau. En effet, le chiffre de la famille était gravé en lettres d'or, un V, un A et un Z entrelacés. Le V pour Villandry, le A pour Adrien et le Z pour Zéphyrine. C'était touchant de la part de mon père car étant fille, bien qu'étant l'ainée, je n'avais pas vraiment le droit d'avoir mon initiale dans nos armes mais comme nous étions des jumeaux, père faisait graver nos deux initiales partout. Il aimait leur symbolique de « A à Z ». Du début à la fin pour montrer le sens du devoir et de l'honneur. Un Villandry ne laissait jamais rien au hasard et finissait tout ce qu'il entreprenait.
On pouvait aussi voir le blason d'azur et d'argent, au chef pourpre chargé de trois besants d'or et notre devise « observer pour prévenir ».
Il m'apprit quelques mouvements de base tout en affirmant que dans mon cas c'est la vitesse des réflexes qui comptait le plus et non la technique.
-Tu ne l'utiliseras pas pour te battre en duel, ou pour parader dans Versailles, du moins je l'espère car avec toi, on ne sait jamais. L'essentiel et de pouvoir te défendre.
- Ne t'inquiète pas, je saurais donner une bonne leçon à tous ces fanfarons de la cour, tu verras !
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L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...