Chapitre 1: Gagné!

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Château de Villandry, Pays de la Loire, 23 juin 1668 :

-Gagné ! cria une voix victorieuse et toute essoufflée.
-Oh ! J'avais trébuché ! bouda la petite brune en croisant les bras sur sa poitrine.
-Balivernes ! Tes excuses ne changent rien à ma victoire ! hurla la première en secouant ses boucles blondes toutes décoiffées qui se dressaient sur sa tête telle une crinière de lion.
La « petite brune » c'est moi ! Zéphyrine de Villandry et la fille à la crinière de lion qui se vante de m'avoir battue c'est Marie-Elsa de Bréhémont, mon agaçante et insupportable sœur de lait. Je l'aime tellement qu'il m'arrive de la détester !
-Rejouons-nous? proposai-je en lui lançant un regard plein de défi. Et cette fois, je ne manquerai pas de te battre ! ajoutai-je pour la piquer. On ne se moque pas impunément de Zéphyrine de Villandry !
J'aimais fort à la provoquer et cela avait toujours l'effet escompté. Deux secondes plus tard nous nous lancions dans une course folle et effrénée que rien ni personne n'aurait pu arrêter !
-La première au grand saule a gagné!
Je fonçai tête la première vers la victoire. Elsa aimait gagner, je le savais, mais j'aimais cela bien plus encore !
-Regagné !
Elle s'était mise à sautiller à cloche pied autour du tronc de l'arbre.
Flûte ! Comment faisait-elle à chaque fois ? J'aime gagner. Cela implique que je déteste perdre.... L'eau de la Loire coulait paisiblement à quelques pas de nous... Trop paisiblement peut être ! D'un geste rapide je poussai mon amie qui eut vite fait de se retrouver à l'eau.
-Tu vas me le payer ! hurla-t-elle en se débattant.
J'éclatai d'un rire sonore avant de sauter moi aussi dans l'eau glacée. Il faisait si chaud en ce début d'été !
Elsa commença à m'éclabousser, je fis de même ! Il était bien dérangeant de se baigner avec trois jupons et un corps trop serré, bien que pas assez serré selon l'avis de mère. Toutes les jupes flottaient autour de nous et remontaient à la surface nous empêchant de nager correctement... Les hommes ont bien de la chance, personne ne voit leurs dessous quand ils montent aux arbres, personne ne s'offusque en voyant leurs chevilles et surtout personne ne les réprimande de se baigner dans les rivières ! Ah, ça, je le savais bien. Depuis petite je ne comprenais point pourquoi quand je rentrais les cheveux en bataille, pieds nus et jupons crottes on me faisait la morale pendant des heures alors qu'Adrien, mon jumeau, pouvait revenir d'une chevauchée de plusieurs heures rougi par le soleil et crotte comme un palefrenier et la seule remarque à laquelle il avait droit était « Mon fils allez vous changer ». Je me serais bien contentée moi aussi d'un « Ma fille allez vous changer » mais c'était à chaque fois la même chose « Une demoiselle correcte ne se promène pas dans les champs comme une paysanne, les voisins pourraient vous voir... Et s'ils en parlent ? » Et bien qu'ils en parlent Mordiou ! Et qu'ils le crient dans tout Paris si ça leur chante « Mademoiselle de Villandry se promène crottée de la tête aux pieds dans les champs ! » Je doute fort que cela n'arriva jamais. Et bien sûr tout se finissait par « Dieu me vienne en aide pour trouver un parti pour l'accepter ! ». Père se contentait de me lancer des regards furieux et retournait à ses affaires. De toute façon il avait bien compris, lui, après tant d'années que les sermons entraient par une de mes oreilles et ressortaient presque aussitôt par l'autre. Le lendemain cela recommençait mais le plus souvent, je tachais de me cacher pour éviter de les peiner... Je n'aimais guère les voir fâchés !
-Mademoiselle ! Mademoiselle !
Charlotte, la femme de chambre courait à travers les champs en agitant frénétiquement les bras en l'air.
-Zéphyrine ! dit-elle une fois arrivée au bord de l'eau. Sortez immédiatement ! C'est valable pour vous aussi Mademoiselle de Bréhémont, ajouta-elle en se tournant vers Elsa dont les jupes, gonflées par l'eau remontaient à la surface et flottaient autour d'elle. Que Diable étiez-vous en train de faire ?
-Nous jouions ! dis-je en m'agrippant à une branche du saule pour me hisser hors de l'eau.
-Il n'est point temps de jouer ! Madame la marquise vous attend dans le salon bleu ! Il serait mal venu de la faire patienter d'avantage !
-De quoi s'agit-il ?
-D'une lettre de votre père me semble-t-il. Vous saurez une fois au château ! Elle fit volte face et se dirigea d'un pas rapide vers le grand bâtiment caché derrière les arbres.
-J'espère que ce n'est pas pour me sermonner, murmurai-je à l'oreille d'Elsa qui était elle aussi sortie de l'eau.
-Vous le mériteriez bien ! plaisanta-t-elle
-Vous de même ! fis-je en l'éclaboussant de mes mains encore mouillées avant de m'enfuir en courant.
-Vielle carpe ! me lança-t-elle avant de s'enfuir vers le château de Bréhémont.
-Espèce de morue séchée !
-Pintade !
-Andouille !
-Cessez de jurer ! me réprimanda Charlotte alors que je passais en courant près d'elle avant de l'éclabousser elle-aussi !
Elle leva les yeux au ciel mais souris malgré tout.
J'entrai à toute vitesse au château par la petite porte de service située à l'arrière. Je traversai précipitamment les cuisines, Charlotte à mes trousses.
-Mademoiselle ! Vous ne pouvez vous présenter devant Madame ainsi vêtue !
J'étais en effet trempée de la tête aux pieds. Derrière moi, le pan de ma jupe laissait une longue trainée humide.
- Qu'importe ! me changer prendra du temps ! Il serait des plus malvenu de faire patienter ma mère ! Vous l'avez dit vous-même, criai-je avant de disparaitre dans les escaliers. Mon cœur battait la chamade... Voilà des mois que nous n'avions pas eu de nouvelles de père depuis fort longtemps... La campagne de Flandres était finie et, Dieu soit loué, il était ressorti indemne de cette guerre ! Je m étais faite tant de souci... Des nuits entières sans sommeil à m'imaginer le son assourdissant des canons, les hurlements des blessés... Et un jour un courrier nous est parvenu ! L' ennemi avait été vaincu et Louis le Quatorzième, le plus grand roi du monde, revenait de guerre victorieux et couvert d'honneur. J'étais fière que mon père serve notre Roi ! Mais son absence se prolongea... Il fallait signer le traité de paix. Jamais je ne m'étais imaginée qu'un traité était une chose si longue à élaborer ! Pour moi, la guerre s'arrêtait aux coups de cannons et aux chevaliers vainqueurs... Cela est bien plus compliqué en vérité ! J'étais si pressée de revoir père ! Peut-être cette lettre annonçait-elle justement son retour ! Mon cœur en était transporté de joie !
C'est toute essoufflée et toujours dégoulinante que je pénétrai dans le salon bleu où m'attendaient mère, assise sur un fauteuil de soie bleue, un papier à la main, Adrien mon frère jumeau qui se tenait debout près d'elle et mes deux petites sœurs Félicité et Anne qui se chamaillaient assises sur un divan de la même couleur bleu azur que les murs.
-Zephyrine ! Vous êtes encore sortie courir les champs ! Si c'est Dieu possible à votre âge de se comporter comme une enfant ! Même Félicité, qui a à peine cinq ans est plus réfléchie que vous.
-Oh mère je vous en prie ! Lisez-nous la lettre ! Après vous me direz tout cela !
Adrien souleva les sourcils avec une moue réprobatrice, quant à mère elle se contenta de soupirer, comme elle le faisait à chaque fois que je l'agaçais... Ce n'est qu'un peu d'eau après tout... Et ce n'était pas comme si j'avais détruit une de mes belles robes, ce n'était qu'une simple robe brune de grosse toile, déjà recousue et déchirée de tous côtés. Parfois je peinais à la comprendre.

« Mes chers enfants, je vous annonce mon retour dans la semaine qui suit. Mon absence fut longue mais grâce au ciel elle ne se prolongera plus d'avantage. Notre grand roi sort victorieux de cette campagne et en l'honneur de sa victoire et de celle de la France il souhaite organiser un divertissement à Versailles comme nous n'en avons jamais vu auparavant ! Ce bal aura lieu le 18 juillet de cette année et nous y sommes tous conviés ! Je ne vous en dis point d'avantage de peur de gâcher la surprise, qui j'en suis sûr vous ravira encore d'avantage !
Je vous aime et vous embrasse,
Charles de Fontenelle, Marquis de Villandry »

Mère posa la lettre sur la petite table, près de son fauteuil. Je restai stupéfaite.
Moi... 'A Versailles !

~J'espère que ça vous a plu! Suite en fin de semaine très certainement! Bisous!~

L'échiquier de VersaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant