Chapitre 5 : Cela commence fort bien
Château de Fontainebleau, 20 septembre 1669
- La révérence, tâchez de ne point trébucher, la tête haute, le dos droit mais baissez les yeux. Ne regardez point la princesse en face. Ne tournez pas la tête dans tous les sens non plus ! Vous pourrez admirer la pièce tout votre saoul quand vous n'aurez pas 30 paires d'yeux braqués sur vous. Et vous direz chacune le mot de politesse que nous avons convenu, répéta pour la 100ème fois mère, alors que la voiture s'arrêtait dans la cour du château de Fontainebleau, juste devant le grand escalier double extérieur.
- Avons-nous le droit de respirer ou est-ce aussi défendu ? plaisantai-je à l'oreille de Marie-Elsa qui était assise près de moi.
Mère leva les yeux au ciel. Sans doute priait-elle Dieu de lui venir en aide.
- Ne vous inquiétez pas mère, nous ferons de notre mieux, assurai-je pour la réconforter.
-Pas de votre mieux, Zéphyrine. Tout doit être parfait !
Stefan déplia le marchepied et mère sortit suivie de moi et de Marie-Elsa. Enfin dehors ! J'avais cru étouffer de chaleur enfermée dans cette boîte !
Je ne pus m'empêcher de jeter un œil aux alentours. La cour du château était très grande et le château qui l'entourait de même ! Au fond on voyait la grande grille de l'entrée que nous venions de traverser. Des gardes étaient postés de chaque côté de celle-ci.
De nombreux courtisans se promenaient et conversaient dans la cour. Toutes les dames étaient munies d'une ombrelle, pour garder leur teint de porcelaine.
-Observer pour anticiper, Zéphyrine, me rappela ma mère.
Oui... Cette devise allait m'être bien utile en ce pays-ci ou rien ne se faisait comme ailleurs.
Nous traversâmes de nombreux salons jusqu'à arriver aux appartements de Madame. Une demoiselle vêtue de couleur gris-perle nous accueillit fort poliment avant de nous accompagner jusqu'au salon vert ou sa maîtresse nous attendait. Un page ouvrit la grande porte en bois de chaîne.
-Votre Altesse, Madame la marquise de Villandry, sa fille mademoiselle Marie- Zéphyrine de Villandry et Mademoiselle Marie-Elsa de Bréhémont.
Madame était assise sur un sofa et buvait ce qui me parut être du café, cette nouvelle boisson ramenée des contrées lointaines à laquelle je n'avais encore jamais goûtée. Ses dames étaient assises autour d'elle, certaines sur des carreaux à même le sol, d'autres sur des pliants. La pièce était toute entière tendue de soie verte agrémentée de brandebourgs dorés. Les boiseries autour des fenêtres qui donnaient sur la cour que nous venions de traverser étaient également dorées. Tout le mobilier s'accordait à merveille avec la couleur des murs et le luxe de la pièce.
Nous nous avançâmes et exécutâmes toutes les trois une parfaite révérence.
Madame déposa, avec une infinie lenteur et une grâce inouïe, sa tasse sur la petite table devant elle. C'était une jeune femme d'environ 25 ans vêtue d'une élégante robe d'après-midi rouge feu. Elle n'était pas très grande, un peu ronde, sans que cela nuise à sa silhouette. Sa peau était diaphane, son visage, aux traits fins et harmonieux était encadré par de jolies boucles brunes. Ses yeux étaient bleus, d'un bleu d'eau très clair et lumineux dans lequel on ne pouvait rien lire si ce n'est la grandeur et l'orgueil. Ses lèvres étaient petites et très colorés, à moins que ce ne soit le fard très prisé à la cour, et son petit sourire de façade laissait transparaitre quelque chose de méprisant. Je pus également remarquer que ses mains fines étaient très petites. Elle était tout ce qu'on pouvait imaginer d'une princesse, majestueuse, hautaine et méprisante. Autant dire que je la haïs au moment même où je la vis. Et même si j'attendais de mieux la connaître avant d'émettre un jugement définitif, je sus avec une grande certitude qu'elle n'était pas la princesse au grand cœur, amusante et enjouée qui m'aurait prise sous son aile et m'aurait confié ses secrets que j'avais espéré rencontrer.
Un regard échangé avec Elsa et je vis que son avis sur notre maîtresse ne déferrait point du mien.
- Voici donc les deux demoiselles que mon chère frère* m'a recommandées.
Nous exécutâmes une nouvelle révérence.
- C'est pour nous un grand honneur de vous servir, dis-je en m'enfonçant de ne point buter sur un mot. Une seule phrase, certes, mais oh combien importante pour la suite de mon aventure. La première impression est souvent déterminante.
- Et c'est un grand plaisir que nous auront à vous satisfaire, ajouta Elsa, le plus naturellement du monde comme si cette réplique n'avait pas été travaillée et retravaillée.
- Mademoiselle de St-Brieuc, dit Madame en se tournant vers une jeune fille d'environ notre âge qui était assise sur un ployant près d'elle, ayez l'obligeance d'accompagner ces deux jeunes filles à leur chambre.
Nous suivîmes cette demoiselle hors de la pièce tandis que ma mère prenait respectueusement congé de la princesse.
- Son Altesse a un goût inimitable !
Tandis que nous montions un immense escalier de marbre, nous croisâmes deux hommes fort bien vêtus en train de converser.
Cette voix aigue je l'aurais reconnue entre mille. C'était l'homme du bosquet ! Mon regard croisa le sien. Un éclair passa dans son regard de vipère. Je ne vis pas sa chaussure de satin sur mon passage.
Je failli tomber mais je me raccrochai a la balustrade dorée.
- Zéphyrine ! cria Elsa inquiète.
- Mille excuses Mademoiselle..., dit-il d'un ton faussement prévenant
- De Villandry, répondis-je avec précipitation. Ah le perfide ! Il l'avait fait exprès pour connaître mon nom évidemment ! Mais comment pouvait-il savoir ? Il n'y avait que moi qui l'avait vu ce soir là. A moins que...
- Et moi monsieur à qui ai-je l'honneur ? fis-je en défroissant ma jupe comme une gentille demoiselle bien élevée sous le regard réprobateur de Mademoiselle de St-Brieuc. Cela ne se faisait pas de poser ainsi des questions mais après le tour de gredin qu'il venait de me jouer cela ne me gênait pas !
- Monsieur d'Effiat, Mademoiselle, pour vous servir. Sur ces mots il s'inclina et se remit en marche vers les jardins reprenant sa conversation.
A moins qu'il ne m'ait vu mais fait exprès de ne le point laisser paraitre ce soir-là. Tout s'éclaircissait. Je repensais à l'épée d'Adrien cachée au fond de ma malle et je me dis que ce n'était pas une si mauvaise idée de l'avoir apportée finalement.
Marie-Elsa me lança à plusieurs reprises un regard interloqué. Je hochai la tête d'un air de lui dire « je t'expliquerai tout quand nous serons seules ».
- Voici votre chambre, dit la demoiselle blonde en nous montrant une porte. Vos effets seront apportés ici dans peu de temps sans doute. Madame n'a plus besoin de vous avant ce soir après son dîner. Elle débita toutes ces instructions comme un automate avant de disparaitre dans les couloirs de ce labyrinthe.
Visiblement « Bienvenue et prenez le temps de vous installer » n'étaient pas paroles que l'on devait prononcer souvent en ce pays-ci .
Elsa applaudit avec ce sourire forcé et volontairement exagéré qui montrait son exaspération.
-Cela commence, fort bien !
VOUS LISEZ
L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...