Chapitre 16: Je fus fort étonnée

2.5K 232 39
                                    

Chapitre 16: Je fus fort étonnée

Château de Douvres, Angleterre, mai 1670

En Angleterre les châteaux semblaient tous austères et vieux... Ce n'était ni Versailles, ni Chambord! Cette atmosphère mystérieuse me correspondait parfaitement! C'était de vielles forteresses médiévales dans lesquelles je me trouvais fort à mon aise!

Nous arrivâmes au château de Douvres qui était réputé être le château le plus proche du continent en Angleterre, simple hasard, j'en doute. Dans ce jeu diplomatique où tout est codifié Charles II a voulu ainsi montré qu'il fait un pas vers la France. Les ennemis d'hier deviennent les amis d'aujourd'hui. En Angleterre le traité était un secret d'Etat, personne hormis le roi, son frère, le Duc de York et quelques intimes et proches conseillers étaient au courant. Le parlement, fortement opposé à une quelconque alliance à la France n'aurait jamais accepté de signer un tel traité. Ainsi en Angleterre tout le monde pensait que la visite de Madame était une visite à titre familial et pour montrer que la France et l'Angleterre entretenaient malgré tout de bonnes relations, rien d'officiel ne les unissait.

Du côté français, nous étions à peu près toutes dans la confidence, tout se sait à Versailles. Là-bas, même les murs ont des oreilles et en voilà la preuve.

Le roi nous a reçues en grande pompe dans la grande salle du trône ; un immense couloir où étaient massés des dizaines et des dizaines de courtisans et au bout de ce couloir sur une estrade haute de 5 marches, le roi, assis sur un trône au dossier de velours rouge décoré de roses et de lions dorés, les symboles de la royauté anglaise.

- Princess Henrietta-Anne Stuart of England, duchess of Orléans!

Madame avançait lentement. Elle était, comme à son habitude, très à son aise lors de ces cérémonies officielles auxquelles elle était habituée depuis son enfance. Elsa marchait près de moi, d'un pas hésitant.

Moi aussi j'aurais préféré me trouver à mille lieux de toutes ses paires d'yeux qui nous scrutaient de la tête aux pieds, comme pour juger ces "demoiselles françaises" dont la beauté, l'élégance, la culture et la repartie sont louées dans toute l'Europe. Je ne me sens pas appartenir à ce lot d'élégantes...

Le roi se leva et marcha jusqu'à sa sœur, la leva de sa profonde révérence et l'embrassa avec effusion. J'eus l'occasion de le voir de plus près. Un homme grand, bien fait, ressemblant beaucoup à sa sœur si ce n'est que son regard à lui n'était point empli de ce mépris et de cette haine qui animait Madame. En outre, il me parut beaucoup moins « roi » que Louis XIV. Il n'avait pas cette majesté ni cette éloquence du langage, ni cette solennité dans le regard qui le rendait inaccessible et qui faisait comprendre à quiconque se trouvait en sa présence, qu'il était le roi, le seul et l'unique et qu'il était au-dessus de tout et de tous et on en oubliait presque Dieu, le seul à lui être supérieur.

- Quel bonheur immense de vous revoir Madame ma sœur, énonça-t-il en anglais, votre présence emplit notre cour de joie. Vous êtes ici chez vous!

- Je remercie Votre Majesté mon frère de l'honneur qu'elle me fait en nous recevant en de si bonnes et agréables dispositions.

Ce fut la première fois que j'entendis Madame parler en anglais. Mon père avait cru bon de m'enseigner cette langue pour que je m'attire les bonnes grâces de Madame, ce dont d'ailleurs je l'assurai dans mes nombreuses lettres "Madame a pour moi un grand respect et même, si je puis m'exprimer ainsi, une certaine amitié". Comme il est facile de mentir au papier. Jamais Madame n'avait pris le temps de converser avec moi, si bien que je doute même qu'elle sache que je parle sa langue. Dès le premier jour, elle m'avait ignorée, et nos relations n'ont fait qu'empirer au point qu'aujourd'hui je me crois sincèrement haï d'elle. Elle me hait car le roi s'intéresse à moi. Elle méprise toute personne voulant s'élever au-dessus de son rang. Elle me méprise pour cela, moi qui n'ai jamais revendiqué autre chose qu'être moi-même.

Ainsi se poursuivirent les présentations, d'abord l'ambassadeur officiel de France Charles Colbert de Croissy puis toute la suite de Madame dont nous. Le Roi garda une attitude royale mais ne montra de véritable intérêt que pour une seule personne... Louise de Keroual qu'il regarda avec insistance sans pour autant rien dire. Mais tout le monde l'avait remarqué. Louise était en vérité une jeune fille ravissante et Charles II, comme Louis XIV était réputé aimer la compagnie des femmes, surtout quand celles-ci étaient jeunes et jolies.

Charles II nous invita à aller nous reposer dans les appartements qui nous étaient destinés avant les festivités qui auraient lieu dans la soirée. Evidemment nous étions les invitées d'honneur. Je regardai sans cesse autour de moi, toute la cour semblait n'avoir d'yeux que pour nous. J'entendais des murmures d'admiration sur nos toilettes et nos coiffures.

Pour les festivités je mis pour la première fois la robe payée par le roi spécialement pour le voyage. Nous en avions toutes de semblables de couleurs différentes. La mienne était d'un jaune éclatant rehaussé de broderies dorées et de dentelles au point de France sur les manches et le décolleté qui laissait voir mes épaules. J'avais une parure de saphirs jaunes et de diamants car, croyez le ou non, le roi avait puisé dans les joyaux de la couronne pour impressionner encore d'avantage les Anglais. C'était une parure de reine ! Elsa était toute de violet vêtue avec une parure de perles et d'améthystes si impressionnante qu'elle ne cessait de se regarder dans le miroir. Madame, elle, arborait une toilette rouge, couleur éclatante qui la caractérisait si bien. Son corsage était cousu de rubis et de diamants et la jupe était intégralement brodée de brandebourgs en fils d'or.

Ses cheveux étaient eux-aussi entremêlés de pierres précieuses et de perles. La St-Brieuc était en bleu d'azur et Louise de Keroual resplendissait dans sa robe vert amande qui mettait en valeur ses yeux bleu-vert aux reflets changeants. Les autres demoiselles, mesdemoiselles de Maux et de Valencienne étaient en orange et en indigo. C'est un arc-en-ciel qui fit son entrée dans la grande salle où devait avoir lieu une représentation du songe d'une nuit d'été de Shakespeare.

-Voici, la lumière de la France, qui nous rend visite, s'exclama le roi en nous voyant entrer.

Nous prîmes toutes place au premier rang ; le roi était assis entre la reine, Catherine de Bragance et sa sœur, à côté d'Henriette avait pris place son autre frère, le duc de York puis, -insigne honneur !- nous, les demoiselles d'honneur. J'étais d'ailleurs assise près du duc de York qui ne cessa de me dévisager pendant toute la représentation, me mettant quelque peu mal à l'aise.

Après cette sublime représentation que je goûtai fort, ce qui ne fut d'ailleurs point le cas de mes compagnes qui ne comprirent mot, nous fûmes invités dans la grande salle de bal décorée spécialement pour l'occasion. Le roi n'avait sans doute point envie de paraître trop prévenant envers les Français en faisant jouer une tragédie de Corneille. N'oublions pas que l'alliance était le secret le mieux gardé, ici, en Angleterre et qu'il devait absolument le demeurer.

Des rafraîchissements furent servis avant que le roi n'ouvrît le bal avec sa sœur. Ils enchaînèrent plusieures danses que je connaissais avant de se lancer dans une volte. Cette danse, très prisée en Angleterre, était passée de mode en France depuis plusieurs années. On lui préférait le menuet ou la gavotte. Mais en Angleterre cette danse passait pour traditionnelle et intemporelle. Le plus impressionnant était ces levers où le cavalier devait soulever sa partenaire au-dessus du sol. Cette danse demandait assurément de la grâce et de l'adresse et Madame s'en sortait fort bien !

- Mademoiselle, m'accorderez-vous cette danse ?

Je me retournai vers mon interlocuteur à l'accent anglais fort étonnée de voir le duc de York.

Dedie a Alexis qui ecrit vraiment super bien et qui a la gentillaisse de lire mon roman. Allez lire le sien il est vraiment super!


L'échiquier de VersaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant