Chapitre 14 : Pas encore, pas maintenant
Il faisait nuit, nous avions laissé la fenêtre ouverte pour laisser cette douce brise printanière entrer. Je n'avais pas dormi, passant mon temps à regarder la pendule au mur du coin de l'œil. Deux heures venaient de sonner. La St-Brieuc dormait profondément. En me levant je croisai le regard d'Elsa qui tentait de me dissuader une dernière fois, de me rendre à ce rendez-vous. Mais j'avais pris ma décision. Ce soir j'allais tirer les choses au clair avec Arthur de Montagny et il sortira de ma vie pour toujours ou je ne reviendrai pas vivante de cette entrevue. Mais j'étais prête à prendre le risque. J'avais emporte l'épée d'Adrien pour rassurer Elsa. Je n'avais pas peur car j'avais confidence en Arthur, j'avais confiance en ses paroles aussi.
Je traversai ce Versailles endormi uniquement vêtue de mes souliers, de mes bas et de ma chemise blanche. Je n'avais point osé me vêtir entièrement de peur de réveiller la St-Brieuc. Marie-Elsa avait promis de monter la garde et de vérifier si celle-ci dormait. J'avais mis des oreillers et des robes roulées en boule sous le drap pour donner l'illusion d'une silhouette allongée. Je ne savais si ce subterfuge fonctionnerait mais je n'en avais point trouvé d'autre. Au demeurant, je trouverais bien une excuse si cela s'avérait nécessaire.
J'arrivai dans la grotte de Téthys peu après deux heures. La nuit était bien installée à Versailles. La grotte était ornée de sculptures en marbre représentant des scènes mythologiques : Apollon baigné par les nymphes et les chevaux du char du Soleil. Devant la grande sculpture de l'arcade du milieu, un bassin d'eau, les jets d'eau avaient été désactivés pas les fontainiers. Le silence était total. Seul le chant du grillon solitaire perçait le silence de la nuit et de temps en temps une petite goutte d'eau tombait formant des cercles qui troublaient l'eau calme et limpide du bassin.
Soudain je le vis entrer dans la grotte. J'étais prête à brandir l'épée que je tenais à la main. J'avais peur et honte aussi... Honte de m'être précipitée et d'être arrivée la première alors que lui avait semblé prendre son temps.
- Arthur ? murmurai-je pour m'assurer que l'ombre qui s'avançait était bien celui que je croyais.
- C'est bien moi Zéphyrine.
Nous restâmes là à nous regarder à quelques pas de distance.
- Vous avez si peu confiance en moi. Finit-il par dire en pointant le doigt vers mon épée. Il semblait profondément navré et même blessé. Je lâchai l'épée qui tomba sur le marbre faisant raisonner son fracas dans toute la grotte. J'avais soudain honte de l'avoir apportée. Pourtant je répondis avec effronterie, comme je le faisais toujours quand je me sentais menacée ou coupable ou tout simplement mal à l'aise.
- M'avez-vous une seule fois donné raison de vous faire confiance ?
- Je compte le faire aujourd'hui. Quand vous partirez pour l'Angleterre, prenez garde à vous. Je ne sais point exactement ce que d'Effiat manigance, gardez votre épée près de vous... Il se pourrait qu'elle vous soit utile. Gardez vos yeux grands ouverts. Le danger est partout.
- Voilà qui n'est pas très précis.
- Si j'avais pu, je vous aurais accompagné moi-même pour vous protéger. Sur ces mots il s'approcha de moi et me saisit par l'avant bras tentant de m'étirer près de lui. Il n'est pas un danger que je n'aurais couru pour vous protéger. Abandonnant mon regard dur et glacial, celui que je m'étais efforcé de garder, en vain au début de cette entrevue, je lui lançai un regard plein de détresse. Je mourrais d'envie de le serrer contre moi. Les mots d'amour qu'il m'avait dits cette nuit d'orage restaient à jamais gravés en moi. Je l'aime et je le crois en tout mais rien n'est possible entre nous. Vraiment rien. Je ne peux aimer et protéger un traître à la couronne. Je n'abandonnerai pas ma voie, le droit chemin de la vie, celui que j'ai appris à suivre tant bien que mal. Je me devais de suivre ce chemin jusqu'au bout et qu'importe s'il ne s'agissait pas de la quête du bonheur. Je ne suis pas en ce monde pour être heureuse. Rares sont les personnes qui le sont... Et pourtant, pourtant je voulais le prendre dans mes bras lui dire ce que j'éprouvais... Tout lui dire.
- Dites-le ! hurla-t-il presque.
- Dire quoi ?
- Ce que vous éprouvez quand je fais ça, et joignant le geste à la parole il me caressa la joue et je fermai les yeux pour mieux apprécier le moment.
- Je ne puis, murmurai-je
- Et quand je fais ça. Il m'attira contre lui et approcha ses lèvres des miennes.
- Je vous aime, dis-je d'une voix à peine audible. Je sentais son souffle sur mon visage.
- Dites-le plus fort !
- Je vous aime, articulai-je.
- Mieux que cela, dit-il en me serrant plus fort.
- Je vous aime, hurlai-je et la grotte fit écho à ma voix et c'était comme si des milliers de voix appelaient à l'amour.
Et il m'embrassa. Et j'en oubliai jusqu'à mon nom tant rien ne semblait plus avoir d'importance. Puis il me repoussa et je ne compris même pas pourquoi.
- Partez.
-Et depuis quand, Monsieur, donnez-vous des ordres? dis-je mais ce n'était plus sur le ton effronté de la provocation, plus sur le ton badin de la plaisanterie. C'était les yeux plongés dans les siens, la larme au coin de l'œil, la haine au fond du cœur...
- Depuis que vous, mademoiselle, m'avez ôté la raison. Il leva la main pour me caresser le visage à nouveau puis se ravisa...Partez Zéphyrine.
- Je vous hais, lui lançai-je en m'enfuyant en courant.
Tu le hais Zéphyrine, tu le hais! Ne joue pas avec le feu! Ne joue pas avec ce que tu ne peux pas contrôler, tu le hais, tu te dois de le haïr. Cet homme n'est pas pour toi. Cesse d'avoir de coupables pensées... Tu ne peux l'aimer et tu le sais.
- Il en est mieux ainsi, l'entendis-je murmurer alors que je me pensais déjà loin. Je me retournai. Il était de dos, regardant l'eau calme du bassin éclairée par la lueur blafarde de la lune.
Ma raison s'évapora. Je me lançai dans une course effrénée, mais vers lui cette fois, vers lui! Mais que fais-tu Zéphyrine? Que fais-tu? Je fonce vers le vide, les yeux bandés, le cœur en émoi. Lui ne me laissera pas tomber. Et comment le sais-tu Zéphyrine? Je le sais parce que je l'aime. Maintenant tais-toi. Laisse-moi vivre. Tu n'es pas comme tous les autres Zéphyrine, tu ne veux pas de cette vie qu'on a tracée pour toi. Tu ne veux pas de ces richesses, de ces châteaux, de ces honneurs. Ce que tu veux, c'est vivre. Alors vis. Maintenant ou jamais. Vis ta vie. Fonce, n'aie pas peur du vide, tu as le courage, tu as la force et si tu tombes, tu sauras que c'est en suivant ton cœur, ton âme, ta vérité. En pourchassant la liberté, que tu as toujours vue, toujours connue et toujours vécue. Parce que la liberté, ne peut exister au-dehors si elle ne bat pas au-dedans au rythme de ton cœur. Et elle vit en toi. Et je la vois, au loin.
Je sautai dans l'eau, l'emportant dans ma chute. L'eau était gelée mais un feu intérieur me réchauffait. Et j'avais tout oublié. J'avais oublié d'Effiat, j'avais oublié Versailles et le roi. Car j'étais avec toi, et la liberté était en moi et les étoiles, je le savais, approuvaient mon choix. Car là était mon destin. Là était mon chemin. Et ce n'est pas par hasard qu'Arthur était apparu sur mes pas. J'en ai assez de croire tout ce que l'on me dit et de prétendre être quelqu'un que je ne suis pas. La cour, à force de divertissements nous fait oublier qui nous sommes vraiment, mais la nuit, sous les étoiles éternelles où tout est gravé à tout jamais, je me souviens. Je ne suis pas cette demoiselle que tout le monde voit. Je ne suis pas qui on veut que je sois. Je suis Zéphyrine et je n'ai pas encore cédé à cet ignoble chantage de la vie. Pas encore, pas maintenant.
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Allez lire les romans de MathildeGarance ils sont geniaux! Ils parlent de la meme époque, de la cour du roi soleil. C'est vraiment bien ecrit et ses histoires sont entrainantes! <3
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L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...