Chapitre 17: I do it for vengeance
Il était là incliné, m'offrant son bras... Le frère du roi!
- Fort volontiers ! répondis-je, car évidemment on ne refuse pas une danse au frère du roi d'Angleterre et surtout quand nous sommes les envoyées du roi de France. Il ne faut pas prendre le risque de mécontenter les Anglais. Surtout qu'il est fort probable que le duc soit au courant des tractations secrètes.
Et nous nous lançâmes dans une courante, danse que j'affectionnais tout particulièrement !
Le duc ressemblait à son frère, il devait avoir 35 ans, une allure royale, les cheveux sombres et une petite moustache. C'était quelqu'un de fort soigné et éloquent, qui plus est un très bon danseur. Il m'avait observée tout à l'heure et à vrai dire je me sentais honorée de l'intérêt que me portait l'héritier du trône d'Angleterre.
Une fois la danse finie, le prince s'inclina et me proposa de me montrer les jardins, où allait être tiré sous peu, le feu d'artifice.
- Je suis enchanté de faire votre connaissance Mademoiselle de Villandry. Il avait l'amabilité de me parler français.
- Moi de même votre Altesse.
- Depuis combien de temps êtes-vous au service de ma sœur ?
- Cela fait près d'un an, Votre Altesse.
- Votre roi n'a cesse, dans ses courriers de nous faire l'éloge des dames de ma sœur.
Je rougis. Je ne savais s'il s'agissait d'une simple flatterie ou de la vérité mais cela me troubla.
- Aimez-vous l'Angleterre ?
- Du peu que j'en ai vu, elle me paraît être un pays des plus beaux.
Il sourit. Je détestais faire ce genre de compliment. Je n'étais point personne aimant faire des compliments.
- Y reviendrez-vous un jour ?
- Si votre Altesse le veut.
- Ce serait une joie certaine.
Il s'inclina pour prendre congé et je plongeai dans une profonde révérence. Contre toute attente il prit ma main et y déposa un baiser.
- Au plaisir de vous revoir mademoiselle de Villandry.
Je retournai auprès de Madame tout abasourdie et admirai le feu d'artifice en compagnie de Marie-Elsa qui trépignait d'excitation pour avoir dansé avec à peu près tous les lords anglais qu'elle avait croisés. Personne n'aime danser comme elle. Le duc de York m'avait baisé la main...
A minuit, le roi et la reine se retirèrent et Madame fit de même mais Charles II pria sa cour de continuer la fête et tout le monde s'en donna à cœur joie. Si à la cour de France on buvait beaucoup, jouait gros et parlait fort à la cour d'Angleterre on buvait outre-mesure, jouait au delà de la raison et parlait comme un paysan à une foire aux bestiaux. C'était comme si les gens oubliaient le lendemain, comme si seul le moment présent comptait et en vérité il n'y avait que cela qui comptait.
Ainsi je ris avec Marie-Elsa et trouvai en la personne de Victoire de St-Brieuc quelqu'un en qui on ne peut assurément pas faire confiance mais avec qui on ne manque jamais de s'amuser. Aussi ne me privai-je point de sa compagnie. Ses plaisanteries méchantes associées aux remarques saugrenues d'Elsa sur telle ou telle personne faisaient que j'avais des crampes au ventre à force de rire. Et personne ne nous comprenais nous autres Françaises ! Ou tout de moins personne ne parlait assez bien, ou pour être plus véridique, assez mal le français pour comprendre nos gloussements.
Et nous rentrâmes car Elsa se plaignait de douleurs à l'estomac. Ah cela ! Elle aurait pu y penser avant d'avoir ingurgité pas moins de cinq verres de vin différents. « Pourquoi se priver après tout ! C'est l'Italie ! ». Cela acheva de me convaincre qu'il était temps de rentrer, elle ne savait même plus où elle se trouvait ! Du peu de lucidité je la laissai dans sa chambre avant de me diriger vers la mienne. J'avais l'impression étrange de flotter sur un nuage. Je marchais comme dans un rêve. Un rêve qui m'emporta bien au-delà de la porte de ma chambre car il y avait une lumière derrière cette grande porte. Une belle lumière... Et une belle chanson...
- I do this neither for England nor for you, I do it for myself. I do it for vengeance...
Cette musique je la connaissais bien... Oh était-ce de ces compositions de Lully ?
Je m'assis devant la porte pour mieux entendre la chanson de mes rêves. La tête me tournait. Une partie de moi lutait encore. Je ne devais pas m'endormir. Oh mais quelle belle musique ! Et soudain, dans un instant de lucidité, je me rendis compte que cette musique n'était d'autre que la voix de Madame. Je fis un grand effort pour ne point m'endormir et lutter contre le sommeil.
- De toute manière cela sera fait. Mais il faut garder cet arrangement secret. Je signerai le papier et Louis XIV croira que la paix et belle et bien signée mais vous m'enverrez les plans des batailles. Je n'ai pas l'intention de rompre la triple alliance mais pour vaincre, le roi de France doit croire à notre réconciliation.
Et j'entendais, tout était dit en anglais mais je comprenais fort bien de quoi il était question.
- Vous aurez les plans, cher frère et la victoire sera à nous.
- A la victoire donc.
- A la victoire.
Et j'entendis un tintement de verres.
Vite je m'en fuis en courant et me jetai sur mon matelas. Ce que je venais d'entendre était la chose la plus grave qui soit. Je venais de découvrir qu'un complot se tramait contre le roi de France par le roi d'Angleterre et sa sœur, alliée parfaite puisqu'elle était intégrée à la cour de France. Mais pourquoi Henriette voudrait-elle trahir Louis XIV ? Et tout me revint en tête, les ragots sur sa prétendue liaison avec le roi, sa discorde avec son mari, son enfance misérable au Louvre où elle était à peine chauffée, sa haine envers Louise de La Vallière. Elle avait en vérité plus d'une raison de vouloir se venger de la France et de son roi.
Je m'endormis et toutes ces pensées s'entremêlèrent dans mon esprit et je vis le duc de York, je me vis reine d'Angleterre et je vis la carte de la France s'évaporer, se brûler et se transformer en un amas de cendres perdues dans l'océan et je vis un navire sur lequel je me tenais au bras d'un étrange homme masqué. Et je vis Arthur, j'entendis son rire, je me souvins de ses baisers et de ses paroles qui me berçaient. Et je vis des lames, du sang, des larmes...
Une lumière éblouissante jaillit et je sombrai enfin au fond du tunnel d'où j'aurais voulu ne jamais sortir. Hélas, demain existe. Demain est un nouveau jour. Et il faut se battre, il faut saigner... parfois on pleure mais on se doit de se relever parce que la seule autre option est de fermer les yeux et d'abandonner. Jamais je n'abandonnerai. La victoire sera à moi. Belle, lumineuse, éclatante. Et si venait la défaite... Au moins j'aurais essayé. Tant que possible, jusqu'à épuisement. Car tel est notre rôle sur cette terre. Défendre ce qu'on croit juste. Et ce tunnel noir dans lequel je m'engouffrais, j'en ressortirai. Un jour.
NDA: A sousmaplume car tu as eu des remarques tres interressantes et pertinantes et je ten suis reconnaissante :)
Et puis merci a vous tous qui lisez et commentez vous etes geniaux! Sincerement! Et puis on a presque atteint les 10 000 vues! C'est completement fou! Merci encore!
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L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...