Chapitre15: Réveille-toi !
Traversée de la Manche, mai 1670
Nous quittâmes le port de Dunkerque au petit matin. La traversée de la Manche ne devait durer que quelques heures, aussi moi et Elsa en profitâmes pour regarder la mer que nous n'avions jamais vue auparavant! Quel spectacle! Le bleu lourd et profond de l'eau se mêlait à l'azur léger du ciel, le vent faisait voler nos cheveux, les vagues faisaient bouger le navire... Jamais je n'aurais pu imaginer une chose si magnifique! L'air salé et humide changeait de tout ce que j'avais pu éprouver auparavant mais surtout, ce qui faisait bondir mon cœur hors de ma poitrine c'est cette sensation de liberté sans limites, sans frontières! Je pensais aux péripéties d'Ulysse rejoignant Ithaque, je pensais aux grandes expéditions vers le nouveau monde! Le nouveau monde... En voilà une autre merveille à découvrir!
- Nous devrions partir, dis-je dans ma rêverie.
- Oui! Partir voguer dans l'Atlantique, nous perdre dans le bleu des eaux. Ne plus savoir où finit et où commence la terre...
- Voir tous ces animaux, ces plantes, ces vertigineuses chutes d'eau dont on nous vante la beauté mais que nos yeux n'ont jamais vues.
- Rencontrer les sauvages d'Amérique...
Je souris. On avait les mêmes rêves fous.
- Ah ça demoiselles je doute que vouliez les rencontrer! Ce sont de vrais sauvages qui ne nous ressemblent en rien.
La grosse voix d'un matelot raisonna derrière nous.
- Et qu'en savez-vous? s'enquit Elsa visiblement irritée.
- Tout le monde le dit.
- Tout le monde disait aussi que la terre était plate. Tout le monde disait qu'il était impossible de traverser l'Atlantique, rétorqua Elsa qui savait bien de quoi elle parlait. Tout le monde dit des fadaises.
- C'est votre première traversée? demanda le matelot pour changer de sujet.
- Oui, répondit sèchement Elsa à qui cet homme avait déplu dès la première seconde. Sans savoir pourquoi il me déplut tout de suite aussi. D'ailleurs, il n'était point d'usage que de simples gens du peuple s'entretiennent avec des demoiselles de bonne naissance...
Il posa sa main sur la mienne qui était agrippée à la rampe. Je la retirai d'un seul coup.
- Je pourrai vous emmener voir les Amériques.
Il est fou! Cet homme est un fou! A qui pensait-il parler ?
- Nous irons seules, monsieur, merci! s'énerva Elsa qui avait vu son geste contre ma main.
Le pont était désert. Madame déjeunait avec le capitaine et ses dames dans la cabine. Sous prétexte d'avoir mal à la tête à cause du soleil... Cette solitude me fit peur. Comme si nous étions sur un bateau fantôme. J'entendais mon cœur battre dans ma poitrine. Et soudain ses mains se posèrent sur ma taille et il me souleva de terre.
Je poussai un cri strident. Elsa hurla aussi. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire je me retrouvai agrippée à la balustrade en bois, les pieds au dessus du vide. Elsa m'agrippa le bras mais l'homme la poussait elle aussi, elle se débattait, elle hurlait, il lui bâillonna la bouche. Je sentais mes mains glisser contre le bois. Une écharde se planta et s'enfonça dans ma paume.
- Par pitié, Elsa ne me lâche pas, par pitié, je m'agrippai à ses bras. Elle tirait, l'homme la poussait, elle lui mordit la main, je tentais désespérément de m'agripper, de ne pas tomber.
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L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...