Chapitre 24: Madame se meurt, madame est morte

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Chapitre 24: Madame se meurt, madame est morte

Château de St-Cloud, 29 juin 1670

J'arrivai en courant dans la pièce où Madame conversait habituellement avec ses dames après le diner.

- On m'a empoisonnée ! hurlait Henriette d'Angleterre qui se tordait de douleur sur son fauteuil tandis que ces dames la délaçaient et lui faisaient respirer des sels. Des éclats de verre étaient parsemés sur le tapis. Nous arrivions trop tard.

A une heure du matin, nous étions le 30 juin 1670, Henriette-Anne Stuart d'Angleterre, duchesse d'Orléans poussait son dernier soupir en son château de St-Cloud. La nouvelle ne mit pas longtemps à faire le tour de la cour.

« Madame se meurt, madame est morte » tels furent les paroles prononcées par l'abbé Bossuet dans l'oraison funèbre de la princesse.

J'avais beau la haïr je ne pouvais que me sentir responsable de cette mort. Elle avait trahi la France... Elle était coupable de lèse majesté aussi dur que cela puisse être de l'admettre je l'étais aussi. Pour n'avoir point dénoncé le complot à temps. Je risquais la mort pour cela et je le savais et je m'en voulais d'avoir mis Elsa en danger. D'Effiat et Lorraine étaient à présent maîtres du jeu.

J'étais rentrée à Versailles pour faire mes malles. N'ayant plus de charge officielle à la cour je me devais de prendre congé de Monsieur et du roi et de retourner à Villandry, ce qui n'était pas pour me déplaire. Au fond de moi, j'espérais qu'Arthur ne serait point soupçonné et que tout se passerait comme prévu. Je regardai la bague qu'il m'avait offerte. Il y avait encore un peu d'espoir.

En rangeant mes toilettes dans une malle, je trouvai une lettre. Le cachet n'avait pas encore était retiré. Il n'y avait pas écrit le nom du destinataire ni de l'expéditeur... Je fis sauter le cachet de cire.

« Je voulais vous dire une dernière chose, avant de partir pour toujours. Je vais être arrêté, accusé de lèse Majesté et exécuté. J'ai vécu cette vie pleinement mais j'ai peine à partir si tôt. Et savez-vous Mademoiselle de Villandry ? Il n'y a qu'une chose que je regrette et ce n'est ni le bleu du ciel, ni la beauté de la mer, ni la merveille du rêve, ni l'attrait de la liberté. C'est vous Zéphyrine. Vous, folle, dont je ne puis m'éloigner, vous qui ne pensez comme personne d'autre ne pense. Vous êtes vous et vous l'êtes si merveilleusement bien. Je l'ai su .... L'instant où j'ai, pour la première fois, posé mes yeux sur vous. Une telle flamme ne peut brûler éternellement en ce monde.

Je vous souhaite de vivre, d'aimer et surtout, surtout Zéphyrine, de m'oublier ! Oubliez-moi ! Je vous en conjure, oubliez moi. Brûlez cette lettre après l'avoir lue. La lettre d'un assassin pourrait nuire à votre réputation. Notre histoire n'a pas existé, elle se doit de disparaitre. Pour moi, qui m'en vais dans l'au-delà elle existera toujours, elle vivra en moi. Même loin de vous je serais là. Mais vous Zéphyrine, oubliez tout. Cachez-moi dans un recoin secret de votre cœur. Personne ne doit savoir car personne ne peut comprendre.

Je sais que tout aurait pu être différent. Hélas... Je n'étais point un homme pour vous. La vie en a décidé autrement. Mais qu'importe la fin, c'est l'histoire qui compte. Et cette vie avec ses peines et ses douleurs je la revivrai cent fois encore si j'avais pu pour pouvoir revoir vos yeux de feu. Juste une dernière fois... je veux sentir votre regard posé sur moi.

Bientôt je monterai à l'échafaud. Je penserai à vous et je sourirai jusqu'au dernier instant car je vous aime. Dans tous les yeux je vois les vôtres, dans tous les rires j'entends le vôtre. Moi qui ne croyais point en l'amour... Si ce que j'éprouve pour vous n'est pas l'amour alors l'amour n'existe pas et si, au contraire ce que j'éprouve pour vous est bien l'amour alors il n'existe que pour nous car personne ne pourra jamais aimer comme je vous aime.

Adieu Zéphyrine. Zéphyrine j'écris votre nom et ce mot sera le dernier que j'écrirai. Zéphyrine. Zéphyrine quel beau nom ! Je ne signe pas... Non je ne signe pas. Je veux mourir avec votre nom en moi, votre nom dans le cœur, dans la voix jusque dans l'au-delà. Zéphyrine. »

Je lâchai cette lettre... Mais comment ? Pourquoi ?... Non ! J'avais la gorge serrée, mon cœur battait à tout rompre. Je courus jusqu'au bureau d'Alexandre Bontemps tentant de retenir les larmes qui venaient aux yeux. Mon cœur était comme une éponge que l'on avait pressée, je me sentais vide... Je fis irruption dans la petite pièce sombre emplie de livres et de papiers, du sol au plafond. Le petit homme aux lunettes leva à peine les yeux de son ouvrage.

- Mademoiselle de Villandry, ne vous a-t-on point appris à frapper avant d'entrer ?

- Monsieur de Montagny a-t-il été arrêté ? demandai-je, ignorant sa question.

- Cela ne vous regarde pas mademoiselle, dit-il en soupirant.

Je pris cette réponse pour une affirmation.

- Je dois voir Sa Majesté.

- Elle travaille dans son cabinet privé et ne veut pas être dérangée.

Il ne voulait décidément pas m'écouter ! J'étais comme un volcan prêt à faire irruption, si ce n'était pas de la lave, ça aurait été des larmes.

- Je dois parler à Sa Majesté immédiatement ! C'est une question de vie ou de mort !

Il poussa un nouveau soupire d'agacement, se leva, bien à contre cœur et m'accompagna jusqu'au cabinet privé du roi.

- Attendez ici ! m'ordonna le premier valet de chambre avant d'entrer dans la pièce et de refermer la porte derrière lui.

J'entendis les deux hommes parler à voix base. Puis Bontemps ouvrit la porte et me fit signe d'entrer. Le roi était assis derrière un immense bureau de travail orné d'or. Ce n'était pas la première fois que j'entrais dans cette pièce pourtant réservée à quelques privilégiés.

- Mademoiselle, on me dit que vous voulez nous voir.

Je fis ma plus belle révérence. J'étais décidée à tout dire. C'était tout ou rien. Maintenant ou jamais.

- Oui Sire.

- Et à quel sujet ?

- Au sujet de feu Henriette d'Angleterre.

Je pensais le voir tressaillir en entendant ce nom. Il n'en fut rien. Il resta impassible comme toujours.

- A dire vrai, mademoiselle, cela ne m'étonne point. Je puis même dire que je vous attendais.

Je restai ébahie, Sa Majesté le roi « m'attendait » ?

- Continuez, je vous prie, mademoiselle.

- Vous n'êtes point sans savoir que Madame fut victime d'un complot.

- C'est exact, je devrais même vous faire arrêter sur le champ pour avoir trempé dans ce crime, bien malgré vous, je le sais, mais la loi est claire à ce sujet. Néanmoins je vous écoute.

Je le savais. Le crime de lèse-majesté était le seul dans lequel même avoir eu vent de l'affaire vous rendait coupable. Et j'avais eu plus que vent de l'affaire.

- Monsieur Arthur a été arrêté ?

Je ne sus si c'était une question ou une affirmation. Je n'étais pas sensée poser des questions au monarque mais cela ne sembla pas le gêner. Sa présence était pour le moins intimidante mais j'étais bien décidée à aller jusqu'au bout de cet entretien. Et j'assumerai les conséquences de mes actes même si cela veut dire passer le reste de mes jours dans la forteresse de Pignerol . Je ne suis pas une traître à la couronne et si Arthur est coupable je le suis au moins autant que lui. La sentence allait tomber, inévitablement. Mais j'avais la ferme intention de tout dire et sans détours.

NDA: Plus que deux chapitres ;)

L'échiquier de VersaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant