Chapitre 19 : Nos rires n'en firent qu'un seul

2.1K 214 27
                                    

Chapitre 19 : Nos rires n'en firent qu'un seul

Je ne me laissai pas perturber par ma petite découverte au sujet de Louise. Après lui avoir parlé un peu, je filai aux communs où j'empruntai un costume de soubrette, il y en avait tant qui trainaient ! Je l'enfilai à la hâte, la jupe était bien trop courte. J'enfouis mes cheveux sous un bonnet de grosse toile et filai vers l'appartement d'Arthur de Montagny. Je l'avais suivi à la sortie de la messe. Son appartement était dans l'aile opposée à celle où nous logions. Je fis mine d'entrer pour déposer une pile de linge propre que j'avais aussi volée chez les lavandières. Je pensais pouvoir trouver une lettre, un mot de d'Effiat, quelque chose que diable ! Du poison peut-être. Quoi que je doutasse qu'il n'ait point brulé tous les papiers. Mais on ne sait jamais et c'était le seul endroit où je pouvais espérer trouver une preuve. Et peut-être que sans me l'avouer j'espérais le revoir. Lui. Depuis la baignade dans le bassin de Téthys je ne l'avais point revu. Tout était allé si vite ce soir-là. J'avais fini par rentrer pieds nus et trempée dans ma chambre mais je n'en avais rien à faire. J'étais heureuse parce qu'il m'aimait et que je l'aimais. Mais la réalité des choses m'avait vite rattrapée. Et même au cas où je trouverais une preuve j'aurais trop peur de l'utiliser. Trop peur de lui nuire en me vengeant de d'Effiat car c'était, immanquablement, la mort qui les attendait. Je poussai la porte et entrai dans ce petit appartement.

Je me précipitai vers la commode. Oh ! Je le sais bien, c'est une cachette bien trop classique pour le prudent criminel que je traque mais je ne puis m'en empêcher. Sans doute espérai-je y trouver autre chose qu'une preuve de crime... Une preuve d'amour, une lettre. Je m'en voulais de m'être abandonnée à un tel sentiment. Sentiment que je m'étais interdit d'éprouver depuis toujours mais c'est mon cœur qui m'entraînait bien plus que ma raison. M'aimait-il vraiment ou n'était-ce que calcul, manipulation ? Mon cœur se refusait à le croire mais je me devais de garder la tête froide.

Furieuse, contre lui, contre moi-même je me mis à remuer frénétiquement dans le tiroir, dépliant les chemises et les bas, bien décidée à trouver une preuve de son infidélité. Quelle infidélité ? M'était-il lié de quelque serment ? T'a-t-il seulement promis quoi que ce soit Zéphyrine ? Bien sûr que non. Soudain je souris, mettant la main sur un objet qui ne pouvait être porté que par une femme. Le rouge me monta aux joues. Ces jarretières bleues d'azur au ruban de soie brodées d'argent. C'était les miennes !

- Tiens donc...

Je me retournai brusquement. Il se tenait à l'autre bout de la pièce affalé sur le lit et me narguait d'un regard ironique.

- Mademoiselle de Villandry ! J'étais conscient que ma présence vous était indispensable mais de là à vous déguiser en soubrette pour pénétrer dans ma chambre....Quelle originalité ! Je n'en attendais pas moins de vous !

Je restai là, accroupie, sans bouger devant la commode me demandant si je devais me réjouir ou non de sa présence. Je ne l'avais même pas entendu mordiable !

Il prenait un malin plaisir à me scruter de haut en bas, ainsi déguisée.

- Vous avez de jolies jambes. Je ne pus m'empêcher de ramener ces jolies choses le soir où vous vous étiez jetée sans plus de façons dans le bassin.

Mon Dieu ! Il parlait des jarretières ! Et je les tenais toujours ! Je ne m'étais jamais sentie si... si étrangement et délicieusement embarrassée. Je rabattis mes jupes sur mes mollets découverts.

Il se leva et vint s'agenouiller près de moi.

- Assez joué Mademoiselle. Il me caressa la joue, je frissonnai au contact de sa main sur mon visage.

- Que cherchiez-vous ? A moins que ce ne soit que ma présence qui vous importait.

Je rougis à nouveau. Je ne savais pas moi-même ce que j'étais venue chercher.

- Me prenez-vous pour un sot qui laisserait traîner des preuves pouvant le compromettre dans un endroit si découvert ? Vous me décevez mademoiselle.

- Je vous déçois donc ? répondis-je en regagnant peu à peu mon assurance habituelle.

Il sourit.

- Retournez à vos broderies, mademoiselle et laissez le monde aux grandes personnes. Vous connaissez les risques que vous encourez. Ne m'obligez point à mettre mes menaces à exécution.

Il se leva et s'éloigna un peu pour aller regarder par la fenêtre.

- Vous ne me faites pas peur, dis-je en me levant à mon tour. Et je n'ai nullement l'intention de partir, murmurai-je à son oreille.

- Loin de moi l'idée de vous chasser mais d'ici je vois Madame s'éloignant dans les jardins. Je m'en voudrais de priver sa Majesté le Roi de votre délicieuse présence à sa promenade. Il semble même vous chercher du regard.

- Ce sont de pures fadaises, monsieur que vous me contez là. Le roi cherche Athénaïs. Je posai une main sur son épaule et de l'autre je désignai la marquise. La voilà qui arrive !

- Si j'étais le roi c'est vous que j'attendrais, murmura-t-il.

- Je n'aurais pas été votre maîtresse, ni celle du roi, ni de personne !

Il me prit par la taille et me poussa dans l'embrasure de la fenêtre.

- Certes pas ! Vous auriez été ma reine.

- Pour passer ma vie à vous attendre en brodant dans un salon ? Très peu pour moi !

- Et qu'aurait souhaité ma reine ? demanda-t-il amusé.

- Que mon roi fasse armer un navire, le plus beau, le plus grand qui soit ! Et que nous partions, loin, très loin d'ici et de cette cour qui nous ennuie !

Il rit. Que j'aimais son rire ! Et nous aurions dansé la nuit durant sur une île déserte, à la lumière des flambeaux dans la jungle sombre et impénétrable.

J'eus à peine fini qu'il m'entraîna dans une danse folle me faisant virevolter dans les airs, traversant toute la chambre, s'imaginant ce moment de rêve. Il rit et je ris aussi et nos rires n'en firent qu'un seul. Je m'effondrai sur le lit, près de lui.

Je me blottis dans son cou. Le monde aurait pu s'écrouler autour de moi, les vitres du château se briser, le sol aurait pu disparaître sous nos pieds. Moi, je n'aurais pas bougé. Il y a tant d'ivresse dans nos cœurs et tant de noblesse dans nos erreurs mais je sais qu'un seul regard doit nous séparer. Car demain le charme sera brisé. Et il faudra se confronter à la dure réalité.

- J'aurais aimé rester ainsi pour toujours.

Soudain trois coups rapides retentirent derrière la porte. Il se leva d'un coup, semblant paniqué.

- C'est d'Effiat ! Vite cache-toi !

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire je me retrouvai cachée sous le lit, agrippée aux barres de bois qui retenaient le matelas. Pourvu qu'il ne me voie pas. Sinon s'en est fini de moi !



L'échiquier de VersaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant