Chapitre 12: Y a-t-il quelqu'un de libre en ce monde ?
Château de St-Cloud, mars 1670
Monsieur ne cessait de faire agrandir son château de St-Cloud. J'aimais fort ce château moins bruyant... Plus tranquille que Versailles, Fontainebleau ou St-Germain. Le monde est là où se trouve le roi... Tout converge autour de lui. Pour ma part, je suis fort heureuse de bénéficier de quelques moments tranquilles loin de l'emploi du temps codifié et monotone de la cour. Ici Madame aimait à passer son temps à discuter avec ses amies, madame de Soissons , que je ne pouvais point voir tant elle me paraissait être une personne mesquine et fausse et ce sentiment de haine était réciproque sans que nous eussions jamais eu de véritable conversation. Comme il y a des gens que l'on aime au premier regard, il y en a que l'on ne peut s'empêcher de haïr. J'aimais au contraire la compagnie de madame de La Fayette dont j'admirais le talent. Madame lui avait d'ailleurs demandé d'écrire son histoire. Je passai des moments agréables à écouter les deux femmes converser. Je participais rarement à la conversation. Je savais par ailleurs que Madame ne l'aurait pas toléré. J'étais bel et bien le mouton noir de cette maison ! C'est pourquoi je passais le plus clair de mon temps en compagnie de la jeune Marie-Louise et la petite Anne-Marie , les deux filles du couple. Leur fils, était mort fort jeune plongeant les parents dans une grande tristesse c'est pourquoi Madame délaissait ses filles...
J'avais de la compassion pour ces deux petites âmes égarées et mal-aimées... Anne Marie, pas même âgée de deux ans était encore un bébé que l'on affublait de parures dont à mon avis elle se serait bien passée.
Marie-Louise quant à elle venait de fêter ses huit ans. Déjà fort jolie, ressemblant plus à son père qu'à sa mère, avec un teint doré, des yeux noirs brillants et des cheveux d'ébène. Elle semblait renfermée sur elle-même loin des préoccupations de la plupart des enfants de son âge. Son esprit semblait voyager.
Elle et tous les autres enfants de la famille royale avaient pour point commun d'être des personnes très seules. J'avais une véritable amitié pour cette petite qui fut jetée, trop tôt à mon goût, dans ce monde tourmenté et agité de la cour. Dans mes pensées parfois j'imaginais l'enlever, elle sa sœur et le petit Dauphin et les amener jouer dans les jardins de Villandry. Il me paraissait impensable qu'ils n'aient jamais eu cette liberté. Et pourtant y a-t-il quelqu'un de libre en ce monde ?
Parfois je rêvais de devenir préceptrice des enfants royaux. J'aurais changé leur vie ! Hélas la nouveauté est très mal vue en ce monde.
Malgré cette vie agréable je restai sur mes gardes. D'Effiat et Lorraine n'étaient jamais bien loin. Ils rodaient toujours. Parfois il leur arrivait même de m'adresser des paroles aimables, d'Effiat m'avait invitée à danser à un bal. Quoi de plus normal aux yeux du monde ? Mais je n'étais dupe de rien. Ils attendaient le bon moment et de mon côté je continuais à chercher, le plus discrètement possible, des preuves de leur conspiration. Il me fallait quelque chose d'écrit. Quelque chose que rien ni personne ne pourrait contester. Je m'attaquais à deux personnes très haut placées à la cour et malgré l'intérêt que le roi me portait, il ne pourrait faire peser de telles accusations sur eux sans s'attirer les foudres de son frère et d'une bonne partie de la cour. Car Monsieur avait beau être quelqu'un de conciliant, il était capable de faire des mains et des pieds quand on touchait à ses mignons et à ses revenus. L'amour et l'argent toujours... Et le pouvoir pour les vicieux.
Ce jour-là, j'étais assise dans ma chambre que je partageais avec Marie-Elsa comme partout ailleurs. Madame se reposait et n'avait donc point besoin de nous.
- À ce soir donc! Espèce de pintade!
- Pintade toi-même! répondis-je en claquant la porte au nez d'Elsa.
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L'échiquier de Versailles
Historical Fiction30 juin 1670, la cour de France retient son souffle. Il est deux heures du matin. A seulement vingt-sept ans, Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV vient de rendre son dernier soupir. Dans la foule qui se presse aux funérailles, on entend...